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nom, tant de grandes renommées, tant d’images célèbres sortent en foule de chaque point du sol de l’Attique, que l’homme le moins cultivé, abordant pour la première fois ce sol classique, doit s’y sentir comme accablé des réminiscences qui lui viennent de toutes parts. Qui n’a pas entendu parler du pays de Cécrops et de la ville de Minerve ? Qui ne connaît pas quelque chose de la vie de Thésée et de la mort de Codrus ? Quel cœur ne palpite pas aux noms de Marathon et de Salamine, à ceux de Miltiade et de Thémistocle ? Et parmi ces gens qui repoussent le plus dédaigneusement les traditions du collége, parmi ces habitués de la bourse ou du barreau, qui vivent tout entiers dans le temps présent, et qui n’estiment, dans l’histoire du genre humain, que le jour qu’ils cotent et le moment qu’ils exploitent, quel est l’homme qui n’attache pas encore quelque valeur aux noms de Solon et de Périclès, de Phocion et de Démosthène, de Socrate et d’Euripide, de Sophocle et de Phidias ? Pour le voyageur même le moins lettré, il est impossible que la vue d’Athènes soit sans intérêt, car les lieux ont ici presque autant de célébrité que les hommes. Qui ne voudrait pas connaître la colline où siégeait l’Aréopage, la prison où mourut Socrate, la tribune où tonna Démosthène ? Et cette autre colline, qui se nomma le Musée ; celle qui porta le jardin de l’Académie et l’école de Platon ; celle où fut le Lycée et où vécut Aristote ? Et ces coteaux de l’Hymette, et ces bords de l’Hissus, et ces champs bornés par le Pentélique et arrosés par le Céphisse : qui pourrait entendre tous ces noms, sans désirer de voir tous ces lieux ? et qui pourrait les voir sans être ému ?

Mais pour voir des lieux auxquels s’attachent tant de souvenirs historiques et tant d’agrémens naturels, et pour les voir comme il convient, il faut encore qu’il y ait, dans l’état même du pays, certaines conditions, qui ne se trouvent pas toujours ; il faut du moins qu’il n’y en ait pas de contraires. Lorsque, il y a plus de vingt ans, vous abordâtes au Pirée, attendant à deux lieues d’Athènes l’hospitalité que vous préparait M. Fauvel au consulat de France, dans la maison qui avait déjà reçu Byron et Chateaubriand, vos premiers regards purent se fixer sans obstacle sur les objets qui s’offraient à vous ; et rien d’étranger, rien de moderne, ne vint se mêler à ces premières impressions de l’Attique. Vous aviez devant vous ce port du Pirée, vide de vaisseaux, et solitaire presque comme la mer qui l’environne ; vous aperceviez la rade de Salamine, les éminences qui la dominent et le détroit qui la sépare de l’Attique. Vous pouviez alors, seul en présence de ces lieux historiques, jouir sans témoins de vos sensations, vous mouvoir en liberté sur ce théâtre de gloire ; visiter, sur l’écueil qui le possède encore, le tombeau détruit de Thémistocle, et chercher même au sommet de l’Ægœleon la place d’où Xerxès assistait immobile à la destruction de sa flotte. Alors rien ne faisait obstacle à vos observations ; personne ne venait se placer entre l’histoire et vous. Sur la grève du Pirée, une seule maison, modeste asile d’une famille française ; dans le triple port, quelques barques de pêcheurs qui troublaient à peine de leur aviron la surface d’une mer tranquille ; rien à