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de mémoire, suppléer en idée ces ornemens détruits, ces plafonds abattus, qui n’existent plus pour nous que dans le livre de Pausanias. Mais, pour me tenir à cette place, où pourraient s’exercer avec fruit toutes les facultés de l’antiquaire, j’étais obligé de faire violence à tous mes sens : je me trouvais sur des tas d’immondices, parmi tout ce qu’il y a, dans la sentine d’un marché, d’objets hideux à la vue, insupportables à l’odorat. Que vous dirai-je ? Au bout de quelques minutes, il me fallut fuir de ce cloaque, où j’étais venu pour admirer les restes du goût d’Athènes et de la magnificence d’Hadrien. Je n’ai pas le courage, après cet exemple, de pousser plus loin la description de la ville nouvelle ; je dois respecter, jusque dans ses erreurs, une destinée naissante, qui peut triompher des restes antiques qui l’écrasent et des masures modernes qui la déparent. Athènes, enfin, peut sortir de ses ruines, briller encore une fois sur ce sol de l’Attique qui la porte, sous ce soleil de l’Attique qui l’éclaire, et je ne voudrais pas qu’à côté de cette destinée qui peut s’accomplir et de cette Athènes qui peut renaître, il restât un de ces témoignages qui accusent, dictés par l’erreur d’un jour à l’impression d’un moment.

Mais ce qui est pour moi un devoir et un besoin, c’est de proclamer aussi haut, aussi loin qu’il m’est possible, ce qui est ici dans la conscience de tout le monde : oui, il est trop vrai que ce fut une pensée fausse et funeste que celle qui plaça sur le site de l’antique Athènes le siége du nouveau royaume de la Grèce. L’éclat que l’on voulait donner à cette couronne se compose de tous les souvenirs helléniques, et ces souvenirs sont partout, dans la plaine d’Argos, comme dans celle de Marathon, dans le golfe de Corinthe, comme dans la rade de Salamine, à Sparte, à Olympie, à Delphes, partout où il y eut, au sein de la Grèce libre et républicaine, des trophées de sa gloire et des monumens de son génie. Mais ces souvenirs, si grands et si nombreux dans l’histoire, qui ne sait qu’il n’en subsiste presque plus rien sur la face même du pays ? Tant de siècles qui ont passé sur cette terre fameuse, et tant de barbares qui l’ont foulée, n’y ont guère laissé à la surface du sol que l’empreinte de la vétusté à tous ses degrés, et de la barbarie sous toutes ses formes. Partout on eût pu construire une capitale à une place célèbre et sur un sol libre ; partout on eut pu asseoir un trône moderne sur des souvenirs de patriotisme et de gloire antiques, sans avoir à heurter des ruines ou à enfouir des édifices. Athènes seule possède encore des monumens qui n’appartiennent pas uniquement à la Grèce, mais à la civilisation tout entière, des monumens qui sont ce que le génie de l’homme produisit jamais de plus accompli, qui forment le plus beau patrimoine de l’humanité. Par une merveille presque aussi rare que celle-là, ces monumens sont ce que le temps et la barbarie même ont le plus respecté. Fallait-il donc adosser ce siége d’un nouvel empire à ces impérissables monumens, au risque d’élever des palais sur des ruines, ou de laisser enfouir des chefs-d’œuvre pour épargner des bicoques ? Oh ! qu’il y avait dans ces premiers jours d’une royauté nouvelle, fondée au sein de cette vieille Grèce, quelque chose de beau à faire ! Imaginez-vous, mon cher ami, quelle agréable et imposante