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cherché où tu m’avais dit, et pourtant je ne l’ai pas trouvé, et je vais mourir dans l’horreur du doute et dans l’épouvante du néant !…

— Tais-toi, lâche blasphémateur ! reprit la voix tonnante, c’est ta soif de gloire qui cause les regrets, c’est ton orgueil qui te pousse au désespoir. Vermisseau superbe, qui ne peux te soumettre à descendre dans la tombe sans avoir pénétré le secret de la toute-puissance ! Mais qu’importe à l’inexorable passé, à l’innumérable avenir des êtres, qu’un moine de plus ou de moins ait vécu dans l’imposture et soit mort dans l’ignorance ? L’intelligence universelle périra-t-elle parce qu’un franciscain a ergoté contre elle ? La puissance infinie sera-t-elle détrônée parce qu’un moine astronome n’a pu la mesurer avec son compas et ses lunettes ?

Un rire impitoyable fit retentir la cellule du père Alexis, et la voix de mon maître y répondit par un lamentable sanglot. J’avais écouté ce dialogue avec une affreuse angoisse. Debout près de la porte entrouverte, les pieds nus sur le carreau, retenant mon haleine, j’avais essayé de voir l’hôte inconnu de cette veillée sinistre ; mais la lampe s’était éteinte, et mes yeux, troublés par la peur, ne pouvaient percer les ténèbres. La douleur de mon maître ranima mon courage ; j’entrai dans sa cellule, je rallumai la lampe avec du phosphore, et je m’approchai de son lit. Il n’y avait personne autre que lui et moi dans la chambre ; aucun bruit, aucun désordre ne trahissait le départ précipité de son interlocuteur. Je surmontai mon effroi pour m’occuper de mon maître, dont le désespoir me déchirait. Assis sur son traversin, le corps plié en deux comme si une main formidable eût brisé ses reins, il cachait sa face dans ses genoux convulsifs, ses dents claquaient dans sa bouche, et des torrens de larmes ruisselaient sur sa barbe grise. Je me jetai à genoux près de lui, je mêlai mes pleurs aux siens, je lui prodiguai de filiales caresses. Il s’abandonna quelques instans à cette effusion sympathique, et s’écria plusieurs fois en se jetant dans mon sein : Mourir ! mourir désespéré ! mourir sans avoir vécu, et ne pas savoir si l’on meurt pour revivre !

— Mon père, mon maître bien-aimé, lui dis-je, je ne sais quelles désolantes visions troublent votre sommeil et le mien. Je ne sais quel fantôme est entré ici cette nuit pour nous tenter et nous menacer ; mais que ce soit un ministre du Dieu vivant qui vient nous inspirer une terreur salutaire, ou que ce soit un esprit de ténèbres qui vient pour nous damner en nous faisant désespérer de la bonté de Dieu, faites cesser ces choses surnaturelles en rentrant dans le giron de la sainte église. Exorcisez les démons qui vous assiégent, ou rendez-