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SPIRIDION.

debout et dans l’attitude où il m’était apparu. Il portait exactement le même costume, le même manteau, la même ceinture, les mêmes bottines. Ses grands yeux bleus, un peu enfoncés sous l’arcade régulière de ses sourcils, s’abaissaient doucement avec une expression méditative et pénétrante. La peinture était si belle, qu’elle me sembla être sortie du même pinceau que le saint François, et le personnage était si beau lui-même, que toutes mes méfiances à son égard firent place à une joie extrême de le revoir, ne fût-ce qu’en effigie. Il était représenté un livre à la main, et beaucoup de livres étaient épars à ses pieds. Il paraissait fouler ceux-là avec indifférence et mépris, tandis qu’il élevait l’autre dans la main, et semblait dire ce qui était écrit en effet sur la couverture de ce livre : Hic est veritas.

Comme je le contemplais avec ravissement, me disant que ce ne pouvait être qu’un homme vénérable, puisque son image décorait cette salle, et que c’était peut-être par descendance un parent de saint François d’Assises, puisqu’il lui ressemblait, la porte du fond s’ouvrit, et le père trésorier, qui était un bonhomme assez volontiers bavard, vint causer avec moi en attendant l’arrivée du prieur. — Vous me paraissez charmé de la vue de ces tableaux, me dit-il. Notre saint François est un superbe morceau, à ce qu’on assure. Quelques amateurs l’ont pris pour un Van-Dyck, mais Van-Dyck était mort quand cette toile a été peinte. C’est l’ouvrage d’un de ses élèves, qui continuait admirablement sa manière. Il n’y a pas à se tromper sur les dates, car lorsque Pierre Hébronius vint ici, vers l’an 1690, Van-Dyck n’était plus ; et, comme vous avez dû le remarquer, c’est la tête de Pierre Hébronius, alors âgé d’un peu plus de trente ans, qui a servi de modèle au peintre de saint François. — Et qui donc était ce Pierre Hébronius ? demandai-je. — Eh mais ! reprit le moine en me montrant le portrait de mon ami inconnu, c’est celui que l’on connaît ici sous le nom de l’abbé Spiridion, le vénérable fondateur de notre communauté. C’était, comme vous voyez, un des plus beaux hommes de son temps, et le peintre ne pouvait pas trouver une plus noble tête de saint. — Et il est mort ? m’écriai-je, sans songer à ce que je disais. — Vers l’an 1698, répondit le trésorier, il y a près d’un siècle. Vous voyez que le peintre l’a représenté tenant en main un livre et en foulant plusieurs autres sous les pieds. Celui qu’il tient est, dit-on, le quatrième écrit de Bossuet contre les protestans ; les autres sont les livres exécrables de Luther et de ses adeptes. Cette action faisait allusion à la conversion récente de Pierre Hébronius, et marquait son passage à la vraie foi, qu’il a servie avec éclat depuis, en embrassant