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fonts le nom de Spiridion à celui de Pierre, en mémoire de ce qu’il avait été deux fois éclairé par l’esprit. Résolu dès lors à consacrer sa vie tout entière à l’adoration du nouveau Dieu qui l’avait appelé à lui, et à l’approfondissement de sa doctrine, il passa en Italie, et y fit bâtir, à l’aide de la grande fortune que lui avait laissée un de ses oncles, catholique comme lui, le couvent où nous sommes. Fidèle à l’esprit de la loi qui avait créé les communautés religieuses, il y rassembla autour de lui les moines les mieux famés par leur intelligence et leur vertu, pour se livrer avec eux à la recherche de toutes les vérités, et travailler à l’agrandissement et à la corroboration de la foi par la science. Son entreprise parut d’abord réussir. Stimulés par son exemple, ses compagnons se livrèrent pendant quelques années avec ardeur à l’étude, à la prière et à la méditation. Ils s’étaient placés sous la protection de saint François, et avaient adopté les règles de son ordre. Ouand le moment fut venu pour eux de se donner un chef spirituel, ils portèrent unanimement sur Hébronius leur choix, qui fut ratifié par le pape. Le nouveau prieur, un instant heureux de la confiance des frères qu’il s’était choisis, se remit à ses travaux avec plus d’ardeur et d’espérance que jamais. Mais son illusion ne fut pas de longue durée. Il ne fut pas long-temps à reconnaître qu’il s’était cruellement trompé sur le compte des hommes qu’il avait appelés à partager son entreprise. Comme il les avait pris parmi les plus pauvres religieux de l’Italie, il n’eut pas de peine à en obtenir du zèle et du soin pendant les premières années. Accoutumés qu’ils étaient à une vie dure et active, ils avaient facilement adopté le genre d’existence qu’il leur avait donné, et s’étaient conformés volontiers à ses désirs. Mais, à mesure qu’ils s’habituèrent à l’opulence, ils devinrent moins laborieux, et se laissèrent peu à peu aller aux défauts et aux vices dont ils avaient vu autrefois l’exemple chez leurs confrères plus riches, et dont peut-être ils avaient conservé en eux-mêmes le germe. La frugalité fit place à l’intempérance, l’activité à la paresse, la charité à l’égoïsme ; le jour n’eut plus de prières, la nuit plus de veilles ; la médisance et la gourmandise trônèrent dans le couvent comme deux reines impures ; l’ignorance et la grossièreté y pénétrèrent à leur suite, et firent du temple destiné aux vertus austères et aux nobles travaux un réceptacle de honteux plaisirs et de lâches oisivetés.

Hébronius, endormi dans sa confiance et perdu dans ses profondes spéculations, ne s’apercevait pas du ravage que faisaient autour de lui les misérables instincts de la matière. Ouand il ouvrit les yeux,