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SPIRIDION.

Du mystère profond qui l’entourait, ils s’attendaient à voir sortir quelque terrible prodige, comme d’un sombre nuage des feux dévorans. C’est ainsi qu’il fut donné à Hébronius d’arriver tranquille à son heure dernière. Quand il la vit approcher, il fit venir Fulgence, pour qui il nourrissait une paternelle affection. Il lui dit qu’il l’avait distingué de tous ses autres compagnons, à cause de la sincérité de son cœur et de son ardent amour du beau et du vrai, qu’il l’avait depuis long-temps choisi pour être son héritier spirituel, et que l’instant était venu de lui révéler sa pensée. Alors il lui raconta l’histoire intime de sa vie. Arrivé à la dernière période, il s’arrêta un instant, comme pour méditer, avant de prononcer les paroles suprêmes et définitives ; puis il reprit de la sorte : « Mon cher enfant, je t’ai initié à toutes les luttes, à tous les doutes, à toutes les croyances de ma vie. Je t’ai dit tout ce que j’avais trouvé de bon et de mauvais, de vrai et de faux, dans toutes les religions que j’ai traversées. Je t’en laisse le juge, et remets à ta conscience le soin de décider. Si tu penses que j’aie tort, et que le catholicisme, où tu as vécu depuis ton enfance, satisfasse à la fois ton esprit et ton cœur, ne te laisse pas entraîner par mon exemple, et garde ta croyance. On doit rester là où on est bien. Pour aller d’une foi à une autre, il faut traverser des abîmes, et je sais trop combien la route est pénible pour t’y pousser malgré toi. La sagesse mesure aux plantes le terrain et le vent : à la rose elle donne la plaine et la brise, au cèdre la montagne et l’ouragan. Il est des esprits hardis et curieux qui veulent et cherchent avant tout la vérité ; il en est d’autres, plus timides et plus modestes, qui ne demandent que le repos. Si tu me ressemblais, si le premier besoin de ta nature était de savoir, je t’ouvrirais sans hésiter ma pensée tout entière. Je te ferais boire à la coupe de vérité que j’ai remplie de mes larmes, au risque de t’enivrer. Mais il n’en est pas ainsi, hélas ! Tu es fait pour aimer bien plus que pour savoir, et ton cœur est plus fort que ton esprit. Tu es attaché au catholicisme, je le crois du moins, par des liens de sentiment que tu ne pourrais briser sans douleur ; et, si tu le faisais, cette vérité, pour laquelle tu aurais immolé toutes tes sympathies, ne te paierait pas de tes sacrifices. Au lieu de t’exalter, elle t’accablerait peut-être. C’est une nourriture trop forte pour les poitrines délicates, et qui étouffe quand elle ne vivifie pas. Je ne veux donc pas te révéler cette doctrine, qui fait le triomphe de ma vie et la consolation de mon heure dernière, parce qu’elle ferait peut-être ton deuil et ton désespoir. Que sait-on des ames ? Pourtant, à cause même de ton amour, il est possible que le culte du beau te