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SPIRIDION.

tudes les plus vives. C’était à cet âge que l’abbé Spiridion avait été dans toute la ferveur de son catholicisme, et qu’après avoir abjuré déjà deux croyances, il s’était voué à la troisième par une indissoluble consécration. J’avais vingt-quatre ans, et je pensais que six années suffiraient à mes études. Dans ces dispositions, je m’agenouillai de nouveau sur la pierre qu’on appelait dans le couvent le hic est ; là, dans le silence et le recueillement, je prononçai à voix basse un serment terrible, vouant mon ame à l’éternelle damnation et ma vie à l’abandon irrévocable de la Providence, si je portais les mains sur le livre d’Hébronius avant l’hiver de 1766. Je ne voulus point faire ce serment dans l’ombre de la nuit, me méfiant du trouble que la solennité funèbre de certaines heures répand dans l’esprit de l’homme ; ce fut en plein midi, par un jour brûlant et à la clarté du soleil, que je voulus m’engager. La chaleur étant accablante, le prieur avait, comme il arrive quelquefois dans cette saison, accordé à la communauté une heure de sieste à midi. J’étais donc parfaitement seul dans l’église ; un profond silence régnait partout ; on n’entendait même pas le bruit accoutumé des jardiniers au dehors, et les oiseaux, plongés dans une sorte de recueillement extatique, avaient cessé leurs chants.

Mon ame se dilatait dans son orgueilleux enthousiasme ; les idées les plus riantes et les plus poétiques se pressaient dans mon cerveau en même temps qu’une confiance audacieuse gonflait ma poitrine. Tous les objets sur lesquels errait ma vue semblaient se parer d’une beauté inconnue. Les lames d’or du tabernacle étincelaient comme si une lumière céleste était descendue sur le saint des saints. Les vitraux coloriés, embrasés par le soleil, se reflétant sur le pavé, formaient entre chaque colonne une large mosaïque de diamans et de pierres précieuses. Les anges de marbre semblaient, amollis par la chaleur, incliner leurs fronts, et, comme de beaux oiseaux, vouloir cacher sous leurs ailes leurs têtes charmantes, fatiguées du poids des corniches. Les battemens égaux et mystérieux de l’horloge ressemblaient aux fortes vibrations d’une poitrine embrasée d’amour ; et la flamme blanche et mate de la lampe qui brûle incessamment devant l’autel, luttant avec l’éclat du jour, était pour moi l’emblème d’une intelligence enchaînée sur la terre, qui aspire sans cesse à se fondre dans l’éternel foyer de l’intelligence divine. Ce fut dans cet instant de béatitude intellectuelle et physique que je prononçai à demi-voix la formule de mon vœu. Mais à peine avais-je commencé que j’entendis la porte placée au fond du chœur s’ouvrir doucement, et des pas que