Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
REVUE DES DEUX MONDES.

gens du peuple aiment mieux être mal payés chez un seigneur que bien payés chez un bourgeois. Ce goût est bizarre sans doute ; mais il est resté dans les classes dont je parle une sorte de respect pour les grandes familles qui s’entourent bénévolement de valets inutiles, et qui les traitent avec une familiarité qui dépasse encore tout ce qu’on peut voir, dans ce genre, en Italie. Il faut aller jusqu’en Espagne pour trouver ces rapports de maîtres à serviteurs, et c’est d’Espagne aussi, avec tant d’autres coutumes, qu’ils sont venus sur le sol sicilien. Toutefois cette servitude volontaire et cette féodalité restée dans les mœurs, en dépit des lois, diminuent chaque jour, et déjà elles ne sont plus que des exceptions.

Enfin, j’ajouterai que les choses ont bien changé, en Sicile, depuis le jour des vêpres siciliennes, où sept vallées se mettaient sur pied au premier son d’une cloche. J’ai vu à peu près opérer, ville à ville, et village à village, le désarmement de la Sicile. J’étais à Palerme quand on publia un édit qui obligeait chaque citoyen à venir renouveler son port d’armes, en exhibant les armes qu’il possédait. Tous les ports d’armes étant inscrits, personne ne put se soustraire à cet ordre, et les armes furent reprises et déposées dans les arsenaux de l’état, à mesure que la déclaration en était faite par ceux qui les possédaient. Cette mesure n’avait pas été prise seulement à Palerme ; sur toute la route que je parcourus depuis, de Palerme à Catane, j’appris que le désarmement avait eu lieu déjà. À Villafrati, à Vallelonga, à Villarosa, des soldats suisses, envoyés de Catane, avaient opéré le désarmement sans résistance. Dans la seule petite commune de Léonforte, où les deux tiers des habitans vont demi-nus par les rues, six cents Suisses avaient enlevé sept milliers de fusils, tandis qu’à Asaro, situé sur le pic voisin de celui où est juché Léonforte, on ignorait cette circonstance ! À Palerme, quinze jours après, cette nouvelle n’avait pas encore transpiré, et la reprise des armes eut lieu tout-à-fait inopinément. Où donc eût été l’accord, et comment se fussent concertés les Siciliens, en cas de soulèvement ? Le moyen qu’un pays songe à lever le drapeau de la révolution, quand toutes les parties qui le composent se montrent si insouciantes l’une de l’autre, et vivent dans ce mutuel isolement ? Je vous dirai comment se firent toutes ces petites révolutions siciliennes de 1830, dont l’une s’allumait aussitôt qu’une autre venait de s’éteindre, et vous verrez que la misère, le défaut d’administration, l’ignorance où l’on tient le peuple, ont été les seules causes de ces émotions. C’est donc du pain, ce sont des routes et des écoles qu’il faudrait au peuple sici-