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REVUE LITTÉRAIRE.

et qu’il la lui accorderait même comme au plus digne. — Tiens, lui dit-il, voici mon gant, je te donne cinq cents livrées de ma terre avec ma fille. — Quand le chevalier fut de retour en son manoir, il annonça à sa femme qu’il venait d’accorder leur fille à l’écuyer Robin. La dame, en colère, jura que jamais l’écuyer ne serait son gendre, et que sa fille pouvait prétendre à un plus noble et plus riche parti. Elle s’enferme alors dans sa chambre, fait venir ses parens et les supplie d’user de toute leur influence pour déjouer ce projet d’alliance. Ils y consentent et vont trouver le chevalier qui leur répond : « Vous aimez ma fille, vous êtes riches et de haut lignage, eh bien ! donnez-lui quatre cents livrées de terre, je romprai le mariage et n’y songerai dorénavant que d’après votre conseil. » Sur le refus des parens, les fiançailles ont lieu, et Robin, pour être plus digne de sa femme, veut devenir chevalier ; l’ordre lui est conféré, et désormais il se nommera Robier. Mais Robier a un pèlerinage à accomplir à Saint-Jakeme ; il part avant de consommer le mariage, et un chevalier nommé Raoul, qui est là présent, lui dit : Je vous ferai kous avant ke nous revegniés, et il parie sa terre contre celle de Robier qu’il réussira auprès de la jeune dame. Le pèlerin maintient le pari et part néanmoins fort tranquille, car sa femme est de trop haute extraction pour lui méfaire. Robier parti, la dame prie Dieu chaque jour qu’il lui ramène son mari, et de son côté Raoul ne cesse d’aviser aux moyens de séduire la belle fiancée. Il s’adresse donc à la vieille qui la servait et lui donne 40 sous pour acheter une robe, afin qu’elle l’aide dans ses amours. Dès-lors la vieille médit du mari et répète tant de fois l’éloge de l’amant que la dame commence à sentir l’aiguillon de la chair. Raoul revient vers la vieille et lui demande des nouvelles. — J’ai parlé en votre faveur, répond-elle. — Parlez encore, dit le chevalier ; on ne réussit pas dès l’abord, et tenés veschi xx sols por akater une penne à vostre sourcot. La dame cependant restait inflexible, quand on apprit que le seigneur Robier revenait dans huit jours. La vieille alors dit à Raoul qu’elle l’introduirait dans la salle du bain, et elle tint sa promesse. Raoul entre dans la chambre, saisit dans ses bras la jeune dame qui résiste ; comme il l’entraînait, ses éperons s’embarrassèrent dans les draperies du lit, et il tomba. La dame prit une buse, en frappa le seigneur Raoul au milieu du visage, et lui fit une plaie large et profonde ; mais le chevalier félon avait remarqué une petite tache noire que la dame avait à son corps, et il résolut de s’en servir comme d’une preuve auprès du mari. Le dimanche suivant, le seigneur Robier arrive, et on invite Raoul qui s’excuse, disant qu’il est malade. Le mariage se consomme, et Robier va rendre visite à Raoul, qui prétend avoir gagné son pari, à tel signe, dit-il, que la dame a une petite tache noire à son sein. Convaincu de l’infidélité de sa femme, le mari prend son palefroi et part pour Paris. La dame, toute dolente, se met aussi en route après s’être déguisée en écuyer ; mais elle rencontre son seigneur à la tombe Ysoré, près de Paris, et elle l’aborde pour lui demander où il va. Sans la reconnaître, il répond qu’il ne sait. La dame lui dit se nommer Jean, et lui demande s’il veut