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REVUE LITTÉRAIRE.

victoire, mais d’un autre côté la tristesse l’accablait, car il ignorait le sort de son écuyer Jean qu’il n’avait plus revu. Quand la dame apprit que son mari avait triomphé dans cette rencontre, elle se fit reconnaître de son père et de sa mère, puis de son mari qui la retrouva avec l’enivrement de son premier amour, et qui fut grandement émerveillé de n’avoir pas reconnu son écuyer déguisé. Après dix ans de bonheur inaltérable, le comte mourut et fut mis en terre avec honneur et la dame garda saintement sa veuveté.

Le romancier revient alors au roi Flore d’Ausai, dont la seconde femme, toujours stérile, était morte. Mais alors le roi Flore jura qu’il n’aurait plus de femme, à moins qu’elle ne fût aussi belle et aussi bonne que la première. Un chevalier, qui était présent, lui dit qu’il connaissait une dame qui n’avait point sa pareille au monde, et qui, pour aller chercher son seigneur, avait couru jusqu’à Marseille, si comme il a esté dit et conté par devant. Le roi flore répondit au chevalier qu’il choisirait volontiers une telle femme. Le chevalier, alors, alla trouver la dame et lui dit de venir vers le roi Flore, qui voulait la prendre pour épouse. Jeanne répondit que le roi n’était pas galant et que ce n’était point à elle de se déranger. Enchanté de ce fier refus, le roi Flore épousa la dame et en eut un fils. — Le roman se termine comme toujours par la bonne mort des acteurs.

Tel est le Roman du roi Flore et de la belle Jeanne ; j’ai voulu en donner une analyse détaillée et complète, parce que c’est une des gracieuses productions de la littérature du moyen-âge. Ce calque n’a pu reproduire sans doute la finesse des détails, et il ne laisse que trop voir les grossiers défauts de la composition, la maladresse de ces deux intrigues mêlées, on ne sait pourquoi, l’invraisemblance des moyens et l’inexpérience de l’écrivain. Mais, en revanche, on ne saurait trop louer, pour le temps, la délicatesse exquise de langage qui distingue le romancier, la précision rare de sa phrase, la culture de son style, la mesure et la proportion de son plan, le voile de grace qu’il jette sur les détails les plus cyniques, et la connaissance vraie qu’il montre des sentimens humains. Ce roman, publié, avec une grande pureté de texte, par M. Francisque Michel, auquel on doit souhaiter d’être toujours aussi heureux dans le choix de ses publications du moyen-âge ; ce roman, dis-je, a dorénavant sa place marquée parmi les meilleures productions de notre ancienne littérature, et il vient s’ajouter dans la pensée aux charmantes compositions de Gérard de Nevers et du Petit Jehan de Saintré.


Lettre sur un manuscrit de la bibliothèque de Berne, suivie de pièces sur les métiers du xiiie siècle[1]. — En rendant compte dans la Revue de la Collection des Documens pour servir à l’Histoire de France, on a eu occasion de parler avec détails du curieux Livre des Métiers d’Étienne Boileau. Les pièces insérées par M. Jubinal à la suite de la

  1. vol. in-8o, publié par M. Achille Jubinal, chez Pannier, rue de Seine, 23.