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ture, la peinture, la gravure et la musique, nous ne pourrions le suivre sur le terrain des faits, dans chacune des subdivisions de son travail. Il paraît toutefois convenable de contredire quelques-unes de ses assertions sur l’histoire spéciale de la musique, parce que les erreurs qu’il répète ne sont pas nouvelles et traînent depuis long-temps dans tous les abrégés et dans tous les manuels. C’était justement là une raison pour M. Dussieux de recourir aux sources mêmes. Les travaux d’analyse et de résumé ne sont bons qu’à la condition d’une science complète des faits ; car pour choisir avec intelligence, il faut tout connaître, jusqu’aux détails. C’est pour cela que les livres élémentaires sont si dépourvus de valeur en général.

M. Dussieux a-t-il vu que les troubadours empruntèrent aux traditions populaires les anciennes cantilènes d’origine hébraïque et grecque ? Le plainchant n’avait rien de commun avec la musique hellénique, et les noms des modes, renouvelés des Grecs (comme dorien, phrygien, etc.), ne sont venus qu’au XVIe siècle. Le plain-chant d’origine hébraïque est une vieille erreur qui doit tomber devant la réflexion toute simple que les nouveaux chrétiens avaient trop d’horreur des juifs et des païens, pour leur emprunter les chants de louange de Dieu. Il n’est pas plus vrai, bien qu’on l’ait dit plus souvent encore, que l’Italien Guido ait inventé la gamme en 1022. Guido, au contraire, s’est servi du système de Pythagore ; il a créé la manière de trouver les intonations par un moyen tout-à-fait semblable au méloplaste de nos jours. À la ligne suivante, M. Dussieux fait de Francon un Parisien, tandis qu’il était de Cologne. De plus, Francon ne fixa pas le rhythme, mais la mesure, ce qui est bien différent. Un peu plus loin, l’introduction de la sacquebutte, qui n’eut lieu qu’au XVIe siècle, est fixée au XIIe. Cela est aussi inexact que les orgues à huit cents tuyaux de la même époque ; il ne faudrait pas se fier ainsi aux exagérations de certains écrivains ; on a sur ce point des renseignemens précis, les orgues d’alors étaient fort simples et dans l’enfance. En abordant le XIIIe siècle, M. Dussieux commet un anachronisme de deux cents ans ; l’école gallo-belge ne s’est montrée qu’avec Dufay au XVIe siècle. En outre, elle n’a pas inventé le contre-point, car les motets et les rondeaux d’Adam de la Halle sont en véritable contre-point, puisque les valeurs sont inégales à chaque partie. Qu’est-ce encore que le violon remplaçant le rebec au XIVe siècle ? La viole ou vielle du Xe siècle n’était pas autre chose que le violon dans son enfance, et le rebec lui-même n’était qu’une espèce de violon, qui ne disparut pas au XIVe siècle, car Rabelais en parle encore.

Je n’ai pas le loisir de relever ainsi une à une les erreurs de M. Dussieux, et de le combattre sur les détails comme je l’ai combattu sur les généralisations. On voit que, dans tout ce qu’il dit sur la musique, il a eu souvent recours, non aux sources primitives, mais à cette fausse érudition de seconde main, si fréquente de notre temps. Il eût été prudent cependant de se garder un peu plus de la science de M. Fétis, qui est à l’archéologie musicale ce