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LETTRES
SUR LA SITUATION EXTÉRIEURE.
VIII.
Monsieur,

Un évènement grave, mais qui ne devait pas être inattendu, occupe tous les esprits en Angleterre ; c’est la démission de lord Durham. Vous savez qu’après les derniers troubles du Canada, lord Durham fut investi par le gouvernement anglais du commandement général des possessions britanniques dans l’Amérique du Nord, avec une accumulation de titres et de pouvoirs extraordinaires qui donnaient à cette importante mission toutes les apparences d’une dictature. On pouvait d’autant plus s’y tromper que jamais circonstances politiques n’auraient mieux justifié pareille mesure. Une révolte avait éclaté dans les deux provinces du Canada ; les troupes anglaises avaient fait contre les insurgés une campagne d’hiver qui avait eu ses dangers et ses revers, bien que la victoire fût définitivement restée aux autorités de la métropole. Toronto, capitale de la province supérieure, était tombée par surprise entre les mains des mécontens, je devrais dire des indépendans ; car il ne s’agissait de rien moins que du renversement de la domination britannique et de la formation des deux Canadas en république indépendante. Ce n’est pas tout. Les conséquences de ces évènemens menaçaient d’entraîner l’Angleterre dans une guerre avec les États-Unis, dont la population, dans les états limitrophes, avait manifesté, de paroles et d’action, la plus vive sympathie pour les insurgés canadiens, et les avait, sur quelques points, efficacement assistés. Enfin, dans la plus grande des deux provinces, la constitution coloniale était suspendue de fait et de droit, après une série de refus multipliés de concours qui avaient amené les affaires à ce point extrême de confusion, à cette situation violente et presque désespérée. Cependant, à l’époque où l’ouverture du Saint-Laurent permettait à lord Durham de se rendre à Québec, sur un des plus beaux vaisseaux de la marine britannique, la révolte était vaincue dans le Bas-Canada par les troupes anglaises, dans le Haut-Canada par des milices loyalistes, que commandait un homme fort énergique, peu difficile sur le choix des moyens, et qui avait rallié autour de lui un nombre assez considérable de nouveaux colons, très attachés à la mère-patrie. Mais sous cette tranquillité renaissante et toute à la surface, combien d’embarras, combien de dangers ! Dès le commencement des troubles, il avait été fait à Québec et à Montréal beaucoup d’arrestations ; les geôles avaient reçu aussi des prisonniers de guerre. Ce n’étaient pas, en général, des hommes