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MARGOT.

s’il eût voulu la baiser, mais il la posa sur ses yeux ; Margot la retira toute baignée de larmes ; elle dit une dernière fois adieu à sa mère, et la carriole se mit en marche.

iii.

Lorsque Margot monta en diligence à Chartres, l’idée de faire vingt lieues et de voir Paris la bouleversait à tel point qu’elle en avait perdu le boire et le manger. Toute désolée qu’elle était de quitter son pays, elle ne pouvait s’empêcher d’être curieuse, et elle avait si souvent entendu parler de Paris comme d’une merveille, qu’elle avait peine à s’imaginer qu’elle allait voir de ses yeux une si belle ville. Parmi ses compagnons de route se trouva un commis-voyageur, qui, selon les habitudes du métier, ne manqua pas de bavarder. Margot l’écoutait faire ses contes avec une attention religieuse. Au peu de questions qu’elle hasarda, il vit combien elle était novice, et renchérissant sur lui-même, il fit de la capitale un portrait si extravagant et si ampoulé, qu’on n’aurait su, à l’entendre, s’il s’agissait de Paris ou de Pékin. Margot n’avait garde de le reprendre, et, pour lui, il n’était pas homme à s’arrêter à la pensée qu’au premier pas qu’elle ferait, elle verrait qu’il avait menti. C’est en quoi on ne peut trop admirer le suprême attrait de la forfanterie. Je me souviens qu’allant en Italie, il m’en arriva autant qu’à Margot ; un de mes compagnons de voyage me fit une description de Gênes que j’allais voir : il mentait sur le bateau qui nous y conduisait, il mentait en vue de la ville, et il mentait encore dans le port.

Les voitures qui viennent de Chartres entrent à Paris par les Champs-Elysées. Je laisse à penser l’admiration d’une Beauceronne à l’aspect de cette magnifique entrée qui n’a pas sa pareille au monde, et qu’on dirait faite pour recevoir un héros triomphant, maître du reste de l’univers. Les tranquilles et étroites rues du Marais parurent ensuite bien tristes à Margot ; cependant, quand son fiacre s’arrêta devant la porte de Mme Doradour, la belle apparence de la maison l’enchanta. Elle souleva le marteau d’une main tremblante, et frappa avec une crainte mêlée de plaisir. Mme Doradour attendait sa filleule ; elle la reçut à bras ouverts, lui fit mille caresses, l’appela sa fille, l’installa dans une bergère, et lui fit d’abord donner à souper.

Étourdie du bruit de la route, Margot regardait les tapisseries, les lambris et les meubles dorés, mais surtout les belles glaces qui décoraient le salon. Elle qui ne s’était jamais coiffée que dans le miroir à