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MARGOT.

un cintre de stuc, encadré de roses dorées, et les inévitables amours foisonnaient autour du plafond. Sur le panneau opposé à l’estrade, on voyait une copie des baigneuses de Boucher, copie faite peut-être par Boucher lui-même. Une guirlande de fleurs se jouait sur le lambris ; un tapis moelleux couvrait le parquet, et un rideau de soie, galamment retroussé, laissait pénétrer à travers la persienne un demi-jour mystérieux. Il va sans dire que tout ce luxe était un peu fané par le temps, et que les dorures avaient vieilli ; mais par cette raison même on s’y plaisait mieux, et on y sentait comme un reste de parfum de ces soixante années de folie où régna le roi bien-aimé.

Margot, seule dans cette salle, s’approcha timidement de l’estrade. Elle examina d’abord les griffons dorés placés de chaque côté de la baignoire ; elle n’osait entrer dans l’eau, qui lui semblait devoir pour le moins être de l’eau de rose ; elle y fourra doucement une jambe, puis l’autre, puis elle resta debout, en contemplation devant le panneau. Elle n’était pas connaisseuse en peinture ; les nymphes de Boucher lui parurent des déesses ; elle n’imaginait pas que de pareilles femmes pussent exister sur la terre, qu’on pût manger avec des mains si blanches, ni marcher avec de si petits pieds ; que n’eût-elle pas donné pour être aussi belle ! Elle ne se doutait pas qu’avec ses mains hâlées elle valait cent fois mieux que ces poupées. Un léger mouvement du rideau la tira de sa distraction ; elle frémit à l’idée d’être surprise ainsi, et se plongea dans l’eau jusqu’au cou.

Un sentiment de mollesse et de bien-être ne tarda pas à s’emparer d’elle. Elle commença, comme font les enfans, par jouer dans l’eau avec le coin de son peignoir ; elle s’amusa ensuite à compter les fleurs et les rosaces de la chambre ; puis elle examina les petits amours, mais leurs gros ventres lui déplaisaient ; elle appuya sa tête sur le bord de la baignoire, et regarda par la fenêtre entr’ouverte.

La salle de bain était au rez-de-chaussée, et la fenêtre donnait sur le jardin. Ce n’était pas, comme on le pense bien, un jardin anglais, mais un antique jardin à la mode française, qui en vaut bien une autre. De belles allées sablées, bordées de buis, de grands parterres brillant de couleurs bien assorties, de jolies statues d’espace en espace, et, dans le fond, un labyrinthe en charmille. Margot regardait le labyrinthe, dont la sombre entrée la faisait rêver. La cligne-musette lui revenait en mémoire, et elle pensait que dans les détours de la charmille il devait y avoir de bonnes cachettes.

Un beau jeune homme, en costume de hussard, sortit en ce moment du labyrinthe, et se dirigea vers la maison. Après avoir traversé