Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
474
REVUE DES DEUX MONDES.

se glaça dans mes veines, une sueur froide ruissela de tous mes membres, et j’éprouvai dans ma propre chair toutes les tortures que je voyais subir à mon spectre. J’essayai de rassembler le peu de forces qui me restaient et d’invoquer à mon tour Spiridion et Fulgence. Mes yeux se fermèrent, et ma bouche murmura des mots dont mon esprit n’avait plus conscience. Lorsque je rouvris les yeux, je vis auprès de moi une belle figure agenouillée, dans une attitude calme. La sérénité résidait sur son large front, et ses yeux ne daignaient point s’abaisser sur mon supplice. Il avait le regard dirigé vers la voûte de plomb, et je vis qu’au-dessus de sa tête la lumière du ciel pénétrait par une large ouverture. Un vent frais agitait faiblement les boucles d’or de ses beaux cheveux ; il y avait dans ses traits une mélancolie ineffable, mêlée d’espoir et de pitié. — Ô toi dont je sais le nom, lui dis-je à voix basse, toi qui sembles invisible à ces fantômes effroyables, et qui daignes te manifester à moi seul, à moi seul qui te connais et qui t’aime ! sauve-moi de ces terreurs, soustrais-moi à ce supplice !…

Il se tourna vers moi, et me regarda avec des yeux clairs et profonds, qui semblaient à la fois plaindre et mépriser ma faiblesse. Puis, avec un sourire angélique, il étendit la main, et toute la vision rentra dans les ténèbres. Alors je n’entendis plus que sa voix amie, et c’est ainsi qu’elle me parla : — Tout ce que tu as cru voir ici n’a d’existence que dans ton cerveau. Ton imagination a seule créé l’horrible rêve contre lequel tu t’es débattu. Que ceci t’enseigne l’humilité, et souviens-toi de la faiblesse de ton esprit avant d’entreprendre ce que tu n’es pas encore capable d’exécuter. Les démons et les larves sont des créations du fanatisme et de la superstition. À quoi t’a servi toute ta philosophie, si tu ne sais pas encore distinguer les pures révélations que le ciel accorde, des grossières visions évoquées par la peur ? Remarque que tout ce que tu as cru voir s’est passé en toi-même, et que tes sens abusés n’ont fait autre chose que de donner une forme aux idées qui depuis long-temps te préoccupent. Tu as vu dans cet édifice composé de figures de bronze et de marbre, tour à tour dévorantes et dévorées, un symbole des ames que le catholicisme a endurcies et mutilées, une image des combats que les générations se sont livrées au sein de l’église profanée, en se dévorant les unes les autres, en se rendant les unes aux autres le mal qu’elles avaient subi. Ce flot de spectres furieux qui t’a emporté avec lui, c’est l’incrédulité, c’est le désordre, l’athéisme, la paresse, la haine, la cupidité, l’envie, toutes les passions mauvaises qui ont en-