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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/484

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REVUE DES DEUX MONDES.

nombre d’illustrations historiques échappées aux révolutions et aux siècles.

L’industrie et le barreau, ces deux sources de la bourgeoisie française, fournissent incessamment des recrues à l’aristocratie britannique, bien loin d’élever contre elle une opposition formidable. Le barryster à Westminster-Hall, cette pépinière de chanceliers, l’armateur à Liverpool, le fabricant à Manchester ou à Sheffield, ont à peine fait fortune, que leurs idées vont se fondre dans ce moule hiérarchique où le génie de la Grande-Bretagne semble avoir reçu son indélébile empreinte. Tout réformiste ou dissident qu’il puisse être, celui-ci achète une terre avec patronage ecclésiastique, pour la transmettre à son aîné ; celui-là aspire à obtenir, en se montrant influent aux élections de son comté, ce titre de baronnet, créé par Jacques Ier sans autre vue que les besoins de son échiquier, et qui est devenu une sorte de lien entre la gentry provinciale et la noblesse titrée, comme dans l’ordre parlementaire le knight des comtés est un intermédiaire entre le lord de la chambre haute et le burgess des villes. Aucun d’eux, bien qu’enrichi de la veille, n’hésite, pour l’étrange honneur de se dessiner un écusson, à payer au herald-office le prix de la plus singulière en même temps que de la plus incorrigible entre toutes les vanités.

La constitution de la famille soutient donc, en Angleterre, la constitution de l’état, et les mœurs y sont encore l’ame des institutions. Ce pays supporte sans émotion l’extrême misère à côté de l’extrême opulence, la fierté d’un aîné millionnaire en face du célibat forcé de ses sœurs et de la dépendance besogneuse de ses cadets. Pour étouffer la nature qui serait si redoutable à l’œuvre de la politique, pour amortir l’effet de tant de souffrances individuelles, ce gouvernement dote l’indigence de la taxe des pauvres, ouvre à ses nombreux criminels un continent à peupler, livre aux puînés des grandes familles des colonies dans les deux mondes, aux Indes un empire de cent millions d’hommes, les dignités d’une église plus riche que tous les clergés chrétiens pris ensemble, avec les grades d’une marine plus nombreuse que toutes celles de l’Europe, ressources colossales, qui sont pour le gouvernement aristocratique d’Angleterre ce qu’était la conquête pour le patriciat romain, une nécessité fatale de sa position, une rigoureuse condition d’existence.

L’Angleterre, que l’étranger étudie dans les livres, celle qu’il entrevoit en roulant sur ses routes sablées, ou en étouffant dans les salons du West-End, n’est pas cet étrange pays qui résiste par la