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faire de ce qu’on leur rendait. Je ne sache pas, en effet, un seul de ces monumens rendus à des particuliers qui soit encore conservé pour le pays, et je serais heureux qu’on pût me signaler des exceptions individuelles à cette funeste généralité. Et cependant, malgré la difficulté bien connue de disposer de ces glorieux débris, on ne voulut jamais permettre au fondateur de ce musée unique, homme trop peu apprécié par tous les pouvoirs, M. Alexandre Lenoir, de former un restant de collection avec ce que personne ne réclamait. Ce mépris, cette impardonnable négligence de l’antiquité chez un gouvernement qui puisait sa principale force dans cette antiquité même, s’étendit jusqu’au Conservatoire de Musique, puisque l’on a été disperser ou vendre à vil prix la curieuse collection d’anciens instrumens de musique qui y avait été formée, ainsi que l’a révélé le savant bibliothécaire de cet établissement, M. Bottée de Toulmon, à une des dernières séances du comité des arts. Ce système de ruine, si puissant à Paris, se pratiquait sur une échelle encore plus vaste dans les provinces. Qui pourrait croire que, sous un gouvernement religieux et moral, la municipalité d’Angers, présidée par un député de l’extrême droite, ait pu installer un théâtre dans l’église gothique de Saint-Pierre ? Qui pourrait croire qu’à Arles, l’église de Saint-Césaire, regardée par les plus savans antiquaires comme une des plus anciennes de France, ait été transformée en mauvais lieu, sans qu’aucun fonctionnaire ait réclamé ? Qui croirait qu’au retour des rois très chrétiens, il n’ait été rien fait pour arracher à sa profanation militaire le magnifique palais des papes d’Avignon ? Qui croirait enfin qu’à Clairvaux, dans ce sanctuaire si célèbre, et qui dépendait alors directement du pouvoir, l’église si belle, si vaste, d’un grandiose si complet ; cette église du XIIe siècle que l’on disait grande comme Notre-Dame de Paris, l’église commencée par saint Bernard, et où reposaient, à côté de ses reliques, tant de reines, tant de princes, tant de pieuses générations de moines, et le cœur d’Isabelle, fille de saint Louis ; cette église qui avait traversé, debout et entière, la république et l’empire, ait attendu, pour tomber, la première année de la restauration ? Elle fut rasée alors, avec toutes ses chapelles attenantes, sans qu’il en restât pierre sur pierre, pas même la tombe de saint Bernard, et cela pour faire une place, plantée d’arbres, au centre de la prison, qui a remplacé le monastère.

Pour ne pas nous éloigner de Clairvaux et du département de l’Aube, il faut savoir qu’il s’est trouvé un préfet de la restauration qui a fait vendre au poids sept cents livres pesant des archives de ce même Clairvaux, transportées à la préfecture de Troyes. Le reste est encore là, dans les greniers d’où il les a tirés pour faire cette belle spéculation, et j’ai marché en rougissant sur des tas de diplômes, parmi lesquels j’en ai ramassé, sous mes pieds, du pape Urbain IV, né à Troyes même, fils d’un cordonnier de cette ville, et probablement le plus illustre enfant de cette province. Ce même préfet a rasé les derniers débris du palais des anciens comtes de Champagne, de cette belle et poétique dynastie des Thibaud et des Henri-le-Large, parce qu’ils se