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DES THÉORIES ET DES AFFAIRES EN POLITIQUE.

nous serions les déserteurs, les renégats, et nous avouons ne pas trouver dans les écrivains qui nous ont injuriés des maîtres compétens pour nous catéchiser en matière de philosophie sociale.

L’opposition a si peu un symbole précis, une religion positive, qu’elle-même, à son insu peut-être, marche depuis quelque temps de variations en variations, et se morcelle en des nuances infinies ; elle a donc changé, ce dont nous ne lui faisons point un crime, puisque nous lui reprochons, au contraire, de n’avoir pas assez changé. Mais alors pourquoi tant de colère contre des hommes jeunes qui sont libres apparemment d’obéir à des convictions, fruit de l’observation et du travail ? Quoi de plus naturel que les modifications progressives qu’apportent les années ? et faut-il rappeler à ceux qui se glorifient de leur immobilité ces paroles de l’Écclésiaste : À chaque chose sa saison ; à chaque pensée sous les cieux, son temps ?

Jetons les yeux autour de nous : nous ne voyons que changemens, que transformations ; qu’on prenne soit l’ordre religieux et philosophique des choses, soit les questions littéraires, soit les intérêts politiques, vous ne trouverez partout que des hommes que leurs propres réflexions ont transformés ; les uns ont passé des premiers essais d’une religion nouvelle aux plus ferventes ardeurs d’un catholicisme orthodoxe ; d’autres semblent avoir un peu délaissé d’antiques symboles pour s’engager à la recherche d’un dieu inconnu : quelques uns sont devenus démocrates ardens après avoir défendu pendant une grande partie de leur vie, soit la légitimité monarchique, soit la suprématie pontificale ; quelques talens aigris et susceptibles, qui long-temps avaient défendu le pouvoir, semblent épouser aujourd’hui les animosités de l’opposition ; d’un autre côté, d’autres esprits arrivent, à travers des théories, à des convictions d’ordre et de pratique. Qui est de mauvaise foi dans ce déplacement général, dans cet échange de rôle ? Personne. Chacun obéit tant à sa propre pensée qu’à la loi de son siècle. Tous, nous nous agitons pour la conquête de la vérité, nous allons là où nous croyons l’apercevoir. Dans ces temps d’inquiétude morale comme le nôtre, comme était le XVIe siècle, où une révolution politique et une réforme religieuse bouleversent toutes les ames et remuent toutes les questions, il arrive, quand l’esprit est fortement ébranlé, de deux choses l’une : ou l’on change, ou l’on meurt. Ceux qui ne meurent pas changent en silence ou avec franchise, voilà toute la différence. Mais s’il est naturel de changer, pourquoi n’avouerait-on pas son changement ? À de justes plaintes contre l’égoïsme, on a mêlé, dans de vives récriminations dont on