Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/586

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
582
REVUE DES DEUX MONDES.

en étroite liaison avec le parti Mendizabal, dont les journaux ne cessent de vanter l’Angleterre, tandis que les journaux anglais multiplient leurs attaques, et contre le ministère du duc de Frias, et contre les modérés en général. S’il y a un changement de système, soyez sûr que l’influence anglaise ne sera pas étrangère à la formation du nouveau cabinet. Je n’accuse pas les intentions de M. Villiers ; mais je suis convaincu qu’il se trompe, et je déplore un entraînement qui rend très fausse, à Madrid, la position des envoyés de deux grandes cours entre lesquelles devrait régner le plus parfait accord, pour le salut de la cause constitutionnelle. Vous me permettrez de ne pas insister sur ce point délicat.

Mais, je m’aperçois qu’en vous parlant d’intrigues ministérielles, j’oublie ou passe sous silence les horreurs dont Valence a donné le signal. C’est, monsieur, que j’en suis confondu, et qu’à cet affreux spectacle, je me prends à désirer que les Pyrénées s’exhaussent de quelques mille pieds, que leurs passages se ferment, et que l’Espagne n’ait plus rien de commun avec l’Europe civilisée. Et puis, que vous en dire, que vous ne sachiez trop ? Ces atrocités se commettent au grand jour, avec un ordre parfait, suivant des formes invariables et partout les mêmes. Un matin, le bruit se répand que Cabrera a fait fusiller des prisonniers de guerre, ce qui n’est pas encore certain aujourd’hui ou prend une autre couleur. Là-dessus, la populace s’ameute, et demande à grands cris la mort des prisonniers ou des conspirateurs détenus dans les cachots de la ville, et il y en a dans toutes les villes. Si un général courageux essaie de faire face aux séditieux, on le tue, comme on a tué Canterac, Quesada et tant d’autres. Alors il se forme une junte qui, vu la gravité des circonstances et prenant en considération le vœu du peuple, décide que l’on exécutera tel nombre de prisonniers. Quelquefois on les juge, quelquefois on s’en dispense : les malheureux sont fusillés le même soir, et tout est fini. Des proclamations sur la nécessité d’adopter un système plus franchement patriotique servent d’accompagnement à ces abominables tragédies, qui remettent pour un temps à la tête des administrations municipales les héros oubliés des séditions antérieures, les popularités de club, les célébrités de tribune révolutionnaire. Cette soif de sang gagne ensuite de proche en proche. Après Valence, ce sera Murcie ; après Murcie, Alicante ; après Alicante, ce serait Carthagène, si des magistrats vraiment dignes de ce nom ne s’étaient hâtés de faire embarquer les prisonniers. À Malaga, d’où la révolution, inaugurée aussi par deux assassinats, s’est propagée en 1836 jusqu’à Saint-Ildephonse, la populace, saisie d’une émulation sanguinaire, s’agitera pour obtenir quelques têtes. Mais heureusement la fermeté du général Palarea, que les journaux de Madrid appellent un intolérable despotisme, a dispersé ses chefs et a su contenir une multitude frémissante. À Saragosse, que les mêmes pensées de meurtre agitent depuis un mois, on n’imaginera rien de mieux que de promettre au peuple, dans une proclamation solennelle, les justes représailles qu’il sollicite, s’il se confirme que des prisonniers de guerre christinos ont été massacrés par ordre de Cabrera ; mais on le supplie en attendant de ne déployer cette bannière de vengeance que dans l’extrême nécessité. Ainsi,