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MARGOT.

selle se fit long-temps prier, puis elle entonna d’une voix fraîche et légère un petit refrain assez joyeux. Margot ne put s’empêcher, en l’écoutant, de soupirer, et de songer à la maison de son père, où c’était elle qui chantait au dessert ; lorsqu’il fut temps de se retirer, elle trouva, en entrant dans sa chambre, qu’on en avait enlevé deux meubles qui étaient ceux qu’elle préférait, une grande bergère et une petite table en marqueterie sur laquelle elle posait son miroir pour se coiffer. Elle entr’ouvrit sa croisée en tremblant, pour regarder un instant la lumière qui brillait ordinairement derrière les rideaux de Gaston : c’était son adieu de tous les soirs ; mais ce jour-là point de lumière. Gaston avait fermé ses volets ; elle se coucha la mort dans l’ame, et ne put dormir de la nuit.

Quel motif amenait les deux étrangères, et combien de temps durerait leur séjour ? Voilà ce que Margot ne pouvait savoir ; mais il était clair que leur présence se rattachait aux entretiens secrets de Mme Doradour et de son fils. Il y avait là un mystère impossible à deviner, et, quel que fût ce mystère, Margot sentait qu’il devait détruire son bonheur. Elle avait d’abord supposé que ces dames étaient des parentes ; mais on leur témoignait à la fois trop d’amitié et trop de politesse pour qu’il en fût ainsi. Mme Doradour, pendant la promenade, avait pris grand soin de faire remarquer à la mère jusqu’où s’étendaient les murs du parc ; elle lui avait parlé à l’oreille des produits et de la valeur de sa terre ; peut-être s’agissait-il de vendre la Honville, et, dans ce cas, que deviendrait la famille de Margot ? Un nouveau propriétaire conserverait-il les anciens fermiers ? Mais, d’une autre part, quel motif pouvait avoir Mme Doradour pour vendre une maison où elle était née, où son fils paraissait se plaire, lorsqu’elle jouissait d’une si grande fortune ? Les étrangères venaient de Paris ; elles en parlaient à tout propos, et ne semblaient pas d’humeur à vivre aux champs. Mme de Vercelles avait fait entendre à souper qu’elle approchait souvent l’impératrice, qu’elle l’accompagnait à la Malmaison, et qu’elle avait ses bonnes graces. Peut-être était-il question de demander de l’avancement pour Gaston, et il devenait alors naturel qu’on fît de grandes flatteries à une dame en crédit. Telles étaient les conjectures de Margot ; mais, quelque effort qu’elle pût faire, son esprit n’en était pas satisfait, et son cœur l’empêchait de s’arrêter à la seule supposition vraisemblable qui eût été en même temps la seule vraie.

Deux domestiques avaient apporté à grand’peine une grosse caisse de bois dans l’appartement qu’occupait Mlle de Vercelles. Au moment