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DE LA VIE DE JÉSUS.

le célèbre professeur de théologie dogmatique Paulus, le Christ, échappé du tombeau, est mort d’une fièvre lente, causée par les stigmates de la croix, ou s’il a encore vécu, après la passion, vingt-sept ans travaillant dans la solitude au bien de l’humanité, comme le dit M. Brennesche dans sa dissertation ; et enfin, sur quelle couche écartée a achevé de vivre, loin des regards de ses ennemis et de ses disciples, le Dieu fait homme. Cette partie de l’ouvrage a l’odieuse précision d’une instruction judiciaire. En cet endroit, M. Strauss semble dévier de son système des mythes, et faire une concession à une école adversaire, lorsqu’il admet que l’idée de la résurrection a pour origine une vision des disciples, toute semblable à celle de saint Paul sur le chemin de Damas ; il pense d’ailleurs que cette idée n’a pu se développer pleinement qu’en Galilée, loin du sépulcre et des restes mortels du Christ. L’ascension lui rappelle celle d’Énoch, les chevaux flamboyans d’Élie, lesquels, dit-il, pour se conformer à la nature plus douce de Jésus, durent être transformés en nuages, l’apothéose d’Hercule, de Romulus… etc. Voilà ce livre dans ses élémens et son affreuse nudité ; si l’analyse était à recommencer, le cœur me manquerait pour la refaire.

Ce n’est pas tout cependant ; l’auteur, en terminant, recherche quel sera le résultat de sa doctrine, supposé qu’elle soit généralement adoptée par le clergé. Que doit faire le prêtre convaincu que l’Évangile est une mythologie ? Le prédicateur spéculatif, c’est le nom qu’il donne à cet étrange personnage, a, répond-il, quatre voies ouvertes devant lui. Premièrement, il peut garder sa doctrine pour lui seul et continuer d’instruire le peuple conformément à la lettre de l’Écriture. Secondement, il peut, en racontant l’histoire sacrée, sous-entendre, en lui-même et par une traduction tacite, les abstractions et le système des mythes ; par exemple, pendant qu’il parle de la résurrection du Golgotha, il doit penser secrètement à l’universelle palingénésie des idées, ou encore, en prêchant tout haut sur la Vierge Marie, songer tout bas à la nature, vierge visible, mère éternelle de toutes choses. Mais cette méthode subtile court le risque de rappeler celle des réticences mentales du père Bauny, et, malgré le détour d’intention, elle rentre dans le premier cas. Troisièmement, l’orateur sacré peut travailler ouvertement à ruiner la croyance populaire, et à la transformer en spéculation. Quatrièmement (car le moyen qui précède n’est pas lui-même sans difficultés), il ne reste, en définitive, au prédicateur spéculatif, qu’à descendre de la chaire et à sortir de l’église ; ce sont aussi là les dernières paroles de l’auteur.