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DE LA VIE DE JÉSUS.

qu’ici données de ces circonstances ; il prouve que cette scène n’est ni une vision, ni un songe, ni une parabole. Surtout il n’a pas de peine à démontrer que Satan n’était point un pharisien déguisé et envoyé pour proposer à Jésus d’entrer dans une conspiration contre les Romains. Cette réfutation accomplie, il ouvre l’Ancien Testament. Il y trouve tous les traits de la scène racontée par le nouveau. Moïse, Élie, jeûnent dans le désert pendant quarante jours ; Satan, pendant quarante années, y tente le peuple d’Israël. Ce nombre de quarante ainsi répété, cette tentation du peuple qui s’appelait aussi le fils de Dieu, enfin les anges qui préparent la nourriture d’Élisée, ne sont-ce pas là les traits principaux ou les modèles du récit calqué plus tard par la tradition chrétienne sur les livres de l’ancienne loi ? Donc cette scène n’a en soi rien de réel et nul fond historique. Elle ne répond à aucun moment véritable de la vie de Jésus.

Cette analyse semble complète. Il y manque, à mon avis, une partie importante, qui est un examen plus profond de la vie intérieure du Christ. Jésus vient de recevoir le baptême. Il publie pour la première fois sa mission. Au moment d’achever de se révéler, il se recueille dans le désert. Qui peut savoir les angoisses, les combats, les ennemis intérieurs qui ont assailli dans la solitude ce nouveau Jacob, aux prises avec l’ange inconnu ? Avant de déclarer la guerre à toute la nature visible, avant de jeter l’humanité dans l’avenir, comme un monde dans une orbite nouvelle, qui sait si le révélateur n’a pas hésité dans son cœur, si le passé tout entier ne s’est pas dressé devant lui comme une embûche, si l’univers muet, revêtu de sa splendeur empruntée, ne lui a pas dit par cent voix de se prosterner et de l’adorer, au lieu de le combattre ; si ses pensées ne l’ont pas ravi sur leurs ailes, au faîte du temple et de la montagne sacrée ; si de là il n’a pas vu à ses pieds, d’un côté les royaumes temporels, avec leurs peuples inclinés et soumis, de l’autre l’empire incommensurable des pensées avec l’éternelle passion et la croix au lieu du sceptre de Juda ? Qui sait si, en ce moment, il n’a pas connu par avance la sueur de sang de Gethsamanné, et si, de ce faîte de douleurs, il ne s’est pas écrié déjà, à la vue de la terre soulevée contre lui : « Mon père ! mon père ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » Or, si le doute a pu approcher de lui, assurément ce fut là le noir Satan sur le trône des ténèbres. Cette histoire ne serait donc point aussi illusoire qu’on le prétend. Au contraire, elle toucherait à ce qu’il y a de plus intime, c’est-à-dire de plus réel, dans le vie de Jésus. Relevé de cet abattement mortel, la lumière intérieure reparaît pour lui. Les cieux se rouvrent. En ce