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DE LA VIE DE JÉSUS.

la tradition, de l’autre leur système, et qu’entre eux et le Christ il faut choisir. Mais ceux qui parlent si clairement sont les plus braves, et un petit nombre les suit sans terreur, car le monde n’est pas si hardi qu’il se vante de l’être. Il n’aime pas à brûler ses vaisseaux ni à braver l’abîme d’une vue si assurée ; il y veut plus de détours et de manége ; puis, le droit d’être leurré, trompé, abusé, lui semble la marque des puissans. Il n’est pas près de s’en départir.

Enfin, quelques-uns ont trouvé, chez nous, une dernière issue. Ils ont conseillé à tous les cultes, à toutes les idées, catholicisme, protestantisme, matérialisme, spiritualisme, de vivre chacun en paix à côté l’un de l’autre. Chacun reconnaîtrait les droits et la liberté individuelle de son voisin, comme dans un état constitutionnel sagement pondéré. On se défendrait de toute ambition, de tout empiétement, de tout mouvement hors de ses foyers. La foi et le doute, se respectant profondément l’un l’autre, s’assureraient par une sainte alliance contre tout projet d’usurpation. Cet accord est sans doute fort louable, il est fâcheux que ce soit la sagesse des morts.

Si l’homme, en effet, avait perdu l’espoir d’influer sur l’intelligence de l’homme ; si, rompant toute société de pensée, nous étions arrivés à ce point de nous être fait à chacun de nous un cœur de pierre, où rien ne pourrait pénétrer du cœur d’autrui ; si, gonflés de nous-mêmes, nous nous étions chacun bâti par avance notre petit système, avec la ferme volonté d’y passer l’éternité, sans y rien laisser s’insinuer des idées, des sentimens, des doctrines, des affections de nos frères, ce ne seraient pas seulement la religion et la philosophie qui seraient dans le sépulcre, mais bien l’ame humaine affamée et murée dans la tour d’Ugolin. Loin de nous cette pacification du tombeau ! nous aimons mieux la guerre. Au lieu de nous atténuer les uns par les autres, il s’agit donc plutôt de nous attirer les uns vers les autres, de penser, de lutter, d’être en commun, c’est-à-dire d’être le plus possible. La réforme fait parler d’elle. Que le catholicisme, à son tour, ne se tienne pas dans le silence. Lorsque tant d’ennemis, tant de sectes contraires, surgissent autour de lui, ce n’est pas le moment du silence, mais celui du combat. Les barbares affluent de tous les côtés de l’horizon, avec des dieux étranges ; ils sont près d’investir la Rome sacerdotale. Comme autrefois Léon au-devant d’Attila, il est temps que la papauté sorte vêtue de sa pourpre, et renvoie d’un geste, si elle le peut, cette nuée de destructeurs, jusque dans le dé-