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DE LA VIE DE JÉSUS.

de ces révolutions de palais dont l’univers a déjà fourni tant d’exemples ? Reste donc la pensée seulement pour s’en glorifier ? Je l’avoue. Or, qui me répondra que nul, dans un coin égaré de l’infini, ne la possède plus que lui, ni à de meilleures marques ? Ainsi je vis, et j’attends pour l’adorer que le succès l’absolve, et que la mort, décidant tout, le confonde ou le couronne à mes yeux.

Si, parmi mes lecteurs, il en est qui, dans ce spectacle des agitations religieuses de leur temps, ne voient qu’une image de ruines ; surtout s’il en est auxquels les pages précédentes aient causé, malgré moi, une de ces douleurs qui sont sacrées pour tous, je leur rappellerai qu’un jour aussi les disciples, ayant vu leur maître descendu dans le sépulcre, se prirent à douter et à désespérer de l’avenir. Ils ne savaient que pleurer en secret. Ce qu’ils avaient attendu n’étant pas arrivé, ils étaient tout près de ne plus croire à aucune chose. Ils se disaient les uns aux autres : « Celui que nous avons connu n’était pas le fils de Dieu, car il est mort sur la croix. » Ils disaient encore : « Qui soulèvera pour nous la pierre de son sépulcre ? nous ne sommes point assez forts pour l’entreprendre. » Mais quelques-uns d’eux, s’étant approchés du Calvaire, aperçurent leur maître dans toute la splendeur des cieux, et ils se réjouirent en commun jusqu’à la fin des temps. De même aujourd’hui le monde entier est le grand sépulcre où toutes les croyances, comme toutes les espérances, semblent pour jamais ensevelies, et le sceau du doute y a été apposé par une main invisible ; et nous nous demandons les uns aux autres, saisis de crainte, qui soulèvera la pierre de ce tombeau. Il en est un grand nombre d’entre nous qui pleurent en secret et qui n’ont plus de confiance dans ce qu’ils ont le plus aimé. Mais cette pierre qui nous opprime tous sera, à la fin, brisée, fût-elle plus pesante mille fois que tous les mondes ensemble ; et, du sein de nos ténèbres, le Dieu éternellement ancien, éternellement nouveau, renaîtra vêtu d’une lumière plus vive que celle du Thabor. C’est là au moins la foi de celui qui a écrit ces lignes.


E. Quinet.
25 octobre 1838.