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vu dans ma première jeunesse. Il était difficile d’avoir plus de bonté et d’élévation dans le caractère. Il se fâchait, à la vérité, comme un enfant, mais il s’apaisait de même. Jamais chef de parti ne fut moins propre à son métier. » Toutes ces relations précoces, ces comparaisons multipliées et contradictoires expliquent bien et préparent la modération de Fontanes dans ses jugemens, sa science de la vie, son insouciance de l’opinion, et ne rendent que plus remarquable le maintien de ses affections religieuses. Il écrivait ce mot sur d’Alembert, et il allait tout à l’heure appuyer M. de Bonald.

L’Almanach des Muses de 1778 nous donne les premières nouvelles littéraires du poète. On y lit de lui une pièce composée à seize ans, qui a pour titre le Cri de mon Cœur, et un fragment d’un Poème sur la Nature et sur l’Homme, qui sort déjà des simples essais juvéniles. Ce Cri de mon Cœur ne serait qu’une boutade adolescente sans conséquence, s’il ne nous représentait assez bien toutes les impressions accumulées de l’enfance douloureuse de Fontanes. La mort de son frère aîné, celles de son père et de sa mère, qui l’ont frappé coup sur coup, achèvent d’égarer son ame. Il s’écrie contre l’existence ; il va presque jusqu’à la maudire :

Monarque universel, que peut-être j’outrage,
Pardonne à mes soupirs ; je connais mon erreur.
Pour un jeune arbrisseau que tourmente l’orage,
Dois-tu suspendre ta fureur ?
D’un pas toujours égal, la nature insensible
Marche, et suit tes décrets avec tranquillité.
Audacieux enfant contre elle révolté,
Je me débats en vain sous le bras inflexible
De la nécessité.

Il s’arrête un moment aux projets les plus sinistres et les envisage sans effroi :

Terre, où va s’engloutir ma dépouille fragile,
Terre, qui t’entretiens de la cendre des morts,
Ô ma mère, à ton fils daigne ouvrir un asile !
Heureux, si dans ton sein doucement je m’endors !
Sous la tombe, du moins, l’infortune est tranquille.

Mais à l’instant la terre s’entr’ouvre, l’ombre de son père en sort et le rappelle à la raison, à la constance, à la vertu, lui montre une sœur chérie qui lui reste, et l’invite aux beaux-arts, à la poésie