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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/655

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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

tion nationale : mais qu’avec l’aveu de ses égaremens, vous parvienne aussi l’expression de ses douleurs et de son repentir ! Ce repentir est vrai, profond, unanime ; il a devancé le moment de la chute des traîtres qui nous ont égarés. » Mais toute cette phraséologie obligée de peuple magnanime et de traîtres n’était qu’une précaution oratoire pour amener la convention à entendre face à face ceci :

« Les premiers députés (après la prise de Lyon) avaient pris un arrêté, à la fois juste, ferme et humain : ils avaient ordonné que les chefs conspirateurs perdissent seuls la tête, et qu’à cet effet on instituât deux commissions qui, en observant les formes, sauraient distinguer le conspirateur du malheureux qu’avaient entraîné l’aveuglement, l’ignorance et surtout la pauvreté. Quatre cents têtes sont tombées dans l’espace d’un mois, en exécution des jugemens de ces deux commissions. De nouveaux juges ont paru et se sont plaints que le sang ne coulât point avec assez d’abondance et de promptitude. En conséquence, ils ont créé une commission révolutionnaire, composée de sept membres, chargée de se transporter dans les prisons et de juger, en un moment, le grand nombre de détenus qui les remplissent. À peine le jugement est-il prononcé, que ceux qu’il condamne sont exposés en masse au feu du canon chargé à mitraille. Ils tombent les uns sur les autres frappés par la foudre, et, souvent mutilés, ont le malheur de ne perdre, à la première décharge, que la moitié de leur vie. Les victimes qui respirent encore après avoir subi ce supplice, sont achevées à coups de sabres et de mousquets. La pitié même d’un sexe faible et sensible a semblé un crime : deux femmes ont été traînées au carcan pour avoir imploré la grace de leurs pères, de leurs maris et de leurs enfans. On a défendu la commisération et les larmes. La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvemens, sous peine de mort. La douleur n’exagère point ici l’excès de ses maux ; ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. Quatre mille têtes sont encore dévouées au même supplice ; elles doivent être abattues avant la fin de frimaire. Des supplians ne deviendront point accusateurs : leur désespoir est au comble, mais le respect en retient les éclats ; ils n’apportent dans ce sanctuaire que des gémissemens et non des murmures. »

Les murmures, les frémissemens éclatèrent : ce furent un moment ceux de la pitié. Il est vrai qu’ils durèrent peu. En vain Camille Desmoulins hasarda dans son Vieux Cordelier quelques maximes tardives