Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/688

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
684
REVUE DES DEUX MONDES.

avec tant de dédain, tant de mépris le cœur et l’intelligence de la foule, que ses mélodrames sont plutôt des spectacles que des actions dramatiques.

Depuis la préface de Cromwell jusqu’à la préface de Ruy Blas, M. Hugo a souvent exposé la théorie du drame tel qu’il prétend le réaliser, tel qu’il croit peut-être nous l’avoir montré ; mais jamais il n’a formulé les principes de cette théorie avec tant d’évidence et de précision, jamais il ne s’est condamné lui-même avec tant de franchise et de sévérité. Ni les femmes, ni les penseurs, ni la foule n’appelleront de l’arrêt qu’il vient de prononcer. Toutes les classes d’auditeurs et de lecteurs se réuniront pour applaudir aux principes qu’il a posés, aux conséquences qui découlent naturellement de ces principes, sans le secours d’aucun commentaire ; les prémisses une fois acceptées, un enfant se chargerait de tirer la conclusion. Sauf quelques légères modifications que nous avons indiquées, la critique ne peut qu’approuver les théories de M. Hugo ; mais, à compter de ce jour, depuis cette préface lumineuse, l’auteur de Ruy Blas a perdu le droit de gourmander la critique et de lui reprocher son injustice. Personne ne voudra plus écouter ses plaintes ni ses invectives ; il aura beau accuser tout haut, sous toutes les formes, dans ses odes et dans ses préfaces, la jalousie de ses juges, ses paroles seront comme non avenues ; car tout le monde se souviendra qu’il a prononcé contre lui-même l’arrêt le plus juste et le mieux motivé. Comment croire à la jalousie de la critique, lorsque la critique proclame en toute occasion les principes posés par M. Hugo dans la préface de Ruy Blas ? Comment ajouter foi à la méchanceté des juges qui rédigent leurs sentences d’après les lois que M. Hugo a lui-même formulées si nettement ? Quand la préface de Ruy Blas ne servirait qu’à réduire sa colère au silence, quand la critique et le public n’auraient pas d’autre espérance à concevoir, nous devrions encore adresser à M. Hugo des remerciemens sincères. Car il est pénible de voir la loyauté fouillée du nom d’injustice, la franchise travestie en jalousie ; et la critique est désormais à l’abri de ces imputations.

Mais la préface de Ruy Blas ne se borne pas à exposer la théorie de la poésie dramatique ; M. Hugo ne pouvait se contenter de répéter sous une forme nouvelle ce qu’il a déjà dit si souvent. Il a cru devoir apprécier l’état des monarchies défaillantes en général, et en particulier l’état de la monarchie espagnole dans les dernières années du XVIIe siècle, d’après les principes d’une science née d’hier, et qui jusqu’à présent n’a pas enseigné grand’chose à ceux qui ont pris la