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clergé, le roi lui-même, semblent avoir désespéré de la patrie, n’en désespère pas, elle qui a si peu de part à la grandeur de cette patrie, et à qui il semble qu’il importe peu, dans son auberge de village, que ce soit l’Anglais ou le Français qui règne à Paris ; nier le merveilleux témoignage rendu par la vie et la mort de Jeanne d’Arc, que ce n’est pas un vain mot et une vaine fantaisie que l’amour de la patrie, puisque les plus petits et les plus obscurs le ressentent, et qu’il y a dans l’idée des malheurs de la patrie quelque chose qui vient aggraver la misère ordinaire de leurs conditions ; nier Jeanne d’Arc enfin, qu’y a-t-il là de grand et de hardi ? Qu’y a-t-il qui soit digne d’un poète ?

Mais, nous-mêmes, que pensons-nous de Jeanne d’Arc ? Que pensons-nous de ce personnage merveilleux jeté tout à coup au milieu de notre histoire ? Est-ce un hasard ? Est-ce un miracle ?

Je ne crois pas au hasard dans l’histoire ; je croirais plus volontiers encore au miracle. Le hasard est un mot que l’ignorance emploie pour expliquer ce qu’elle ne comprend pas. Mais plus la science avance, plus la part du hasard diminue. Un mot sur l’état des esprits en France au commencement du XVe siècle montrera, je l’espère, que Jeanne d’Arc n’est point un brillant et inexplicable hasard. De 1425 à 1429, au milieu des guerres et des malheurs du temps, et à l’aide même de ces malheurs qui ont toujours quelque chose de salutaire, parce qu’ils rappellent les peuples comme les individus à la connaissance de leurs devoirs, se répandait peu à peu, en France, une fermentation patriotique et religieuse qui devait avoir ses effets. C’est tantôt un carme qui parcourt les villes de la France, assemblant le peuple autour d’un échafaud dressé en face de l’église, et là tenant des discours pour la réformation des mœurs et la délivrance de la patrie. Frère Connecte, c’est son nom, n’est pas le seul qui entreprenne ainsi la régénération du peuple par la régénération des mœurs. Un autre moine, un cordelier, frère Richard, à Paris, devant les églises, adresse au peuple de longs et pieux discours. Il montait en chaire, dit Monstrelet, à cinq heures du matin et n’en descendait qu’à onze heures. Dans ces longs sermons, il prêchait au peuple la réforme des peuples et la délivrance du pays, il expliquait l’Apocalypse ; et ce qui prouve que ces sermons n’étaient pas seulement des dissertations religieuses, c’est que les Anglais, qui étaient maîtres de Paris, au dixième sermon, forcèrent le prédicateur de s’exiler.

Il courait une prophétie de l’enchanteur Merlin, annonçant que la France, perdue par une femme, serait sauvée par une femme ; et