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nommé Richard. » (Ce fripon, c’était ce moine, ennemi des Anglais, qui prêchait au peuple la réforme des mœurs et l’indépendance nationale.) Un fripon nommé Richard, qui faisait des miracles et apprenait à ces filles à en faire… Les faiseuses de miracles, compagnes de Jeanne, et soumises à frère Richard, se nommaient Pierronne et Catherine… »

Quel est ce personnage de Pierronne ? Pendant le procès de la Pucelle, au moment où elle allait être brûlée à Rouen, une femme, Pierrette la Bretonne, prêcha à Paris que Jeanne venait véritablement de Dieu. Pierrette la Bretonne fut brûlée aussi par les Anglais. La cause de l’indépendance nationale était devenue une religion ; elle avait ses saintes, ses martyrs et ses persécuteurs.

Où Voltaire, qui connaissait tout, mais d’une manière confuse, où Voltaire avait-il trouvé cette histoire du frère Richard dirigeant ces trois femmes inspirées Jeanne d’Arc, Catherine de La Rochelle et Pierrette la Bretonne ? Voltaire aurait été fort embarrassé, si on lui avait demandé où il avait puisé ces prétendus renseignemens historiques. Le voici.

Après le supplice de Jeanne d’Arc, comme toute la France se récriait indignée contre la cruauté des Anglais, le roi d’Angleterre adressa une lettre circulaire aux évêques, ordonnant que dans toutes les villes on fît des prédications pour enseigner au peuple le crime et le juste châtiment de Jeanne d’Arc. À Paris, un frère dominicain, un inquisiteur de la foi, fit un sermon sur ce texte officiel, et c’est dans ce sermon que se trouve l’invention du frère Richard dirigeant les trois femmes inspirées, qui voulaient la délivrance de la France. Ainsi, voilà Voltaire d’accord avec un dominicain et un inquisiteur de la foi, pour calomnier lâchement une sainte et noble fille, coupable du crime d’avoir délivré la France du joug de l’étranger.

Quelle fut l’intention de Voltaire en faisant son poème de la Pucelle ? Ici je fais une distinction. Je distingue ce que j’appelle son intention et ce que j’appelle son instinct.

C’est dans une lettre adressée, en 1734, à M. de Formont, qu’il parle pour la première fois de son poème de la Pucelle : « À l’égard du nom de poème épique que vous donnez à ces fantaisies, qui m’ont occupé dans ma solitude, c’est leur faire beaucoup trop d’honneur.

Cui sit mens grandior atque os
Magna sonaturum, des nominis hujus honorem
.