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REVUE DES DEUX MONDES.

— Jamais ; où as-tu pris cela ? il ne me manquerait plus que de passer six heures dans ton galetas.

— Et vous les y passerez, les six heures, poursuivit Pierrot, ou bien vous me laisserez la boîte, les tuyaux, et tout, sauf votre permission, et quand je vous aurai vu travailler encore une couple d’heures, je saurai peut-être bien m’en servir.

Le médecin eut beau se mettre en fureur, il fallut céder bon gré, mal gré, et rester encore deux heures entières. Ce temps expiré, Pierrot, qui commençait à désespérer lui-même, laissa sortir son prisonnier. Il resta seul alors, au chevet du lit, immobile, dans un morne abattement ; il passa ainsi le reste du jour, sans bouger, les regards fixés sur Margot. La nuit venue, il se leva, et il pensa qu’il était temps d’aller prévenir le bonhomme Piédeleu de la mort de sa fille. Il sortit de la chaumière, et ferma sa porte ; en la fermant, il crut entendre une voix faible qui l’appelait ; il tressaillit et courut au lit, mais rien ne remuait ; il jugea qu’il s’était trompé : c’en fut assez cependant de cet instant d’espérance pour qu’il ne put se décider à quitter la place. J’irai aussi bien demain, se dit-il, et il se rassit au chevet.

En regardant attentivement Margot, il crut remarquer tout à coup un changement sur son visage. Il lui semblait que lorsqu’il avait voulu la quitter, elle avait les dents serrées, et maintenant ses lèvres étaient entr’ouvertes ; il s’empara aussitôt de l’instrument du docteur, et essaya de souffler comme lui dans la bouche de Margot, mais il ne savait comment s’y prendre ; le tuyau ne s’adaptait pas bien à la vessie. Pierrot s’épuisait à souffler, et l’air se perdait ; il versa quelques gouttes d’ammoniaque sur lèvres de la malade, mais elles ne purent pénétrer dans sa gorge ; il eut de nouveau recours au tuyau ; rien ne réussissait. Quelles sottes machines ! s’écria-t-il enfin, lorsqu’il fut hors d’haleine ; tout ça n’est rien et ne fait rien qui vaille. Il jeta l’instrument, s’inclina sur Margot, posa ses lèvres sur les siennes, et dans un effort désespéré, soufflant de toute la force de ses robustes poumons, il fit pénétrer l’air vital dans la poitrine de la jeune fille ; au même instant, la cendre s’agita, deux bras mourans se soulevèrent, puis retombèrent sur le cou de Pierrot ; Margot poussa un profond soupir, et s’écria : Je gèle, je gèle.

— Non, tu ne gèles pas, répondit Pierrot, tu es dans de la bonne cendre chaude.

— Tu as raison ; pourquoi m’a-t-on mis là ?

— Pour rien, Margot, pour te faire du bien. Comment te portes-tu à présent ?