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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

de se figurer par quel abus de méthode l’auteur, imposant à l’histoire ses idées préconçues, arrive à montrer que, de tout temps en France, la souveraineté fut exercée par un grand conseil national, maître d’élire et de déposer les rois, de faire la paix et la guerre, de voter les lois, de nommer aux offices et de décider en dernier ressort de toutes les affaires de l’état. En dépit des différences d’époque, de mœurs, d’origine et d’attributions, il rapproche et confond ensemble sous un même nom, comme choses de même nature, les états-généraux des Valois, les parlemens de barons des premiers rois de la troisième race, les assemblées politico-ecclésiastiques de la seconde, les revues militaires et les plaids de la première, et enfin les assemblées des tribus germaniques telles que Tacite les décrit. Hotman parvient de cette manière à une démonstration factice, à un résultat faux, mais capable de séduire par l’abondance des citations et des textes dont il semble découler. Lui-même était dupe de l’espèce de magie produite par ses citations accumulées ; il disait naïvement de son ouvrage : « Qu’y a-t-il à dire contre cela ? Ce sont des faits, c’est un pur récit, je ne suis que simple narrateur[1]. »

Le point de départ de cette prétendue narration est l’hypothèse d’une hostilité constante des indigènes de la Gaule contre le gouvernement romain. L’auteur suppose, entre les Gaulois et les peuplades germaniques voisines du Rhin, une sorte de ligue perpétuelle pour la vengeance ou le maintien de la liberté commune. Toute invasion des Germains en Gaule, course de pillage, prise de villes, lui semble une tentative de délivrance, et le nom de Franks, hommes libres, comme il l’interprète, le titre dont se décoraient les guerriers libérateurs. Il croit le voir paraître d’abord chez une seule tribu, celle des Caninéfates, et s’étendre progressivement à mesure que d’autres tribus s’associent pour cette croisade de l’indépendance[2]. Selon lui, après deux cents ans de luttes continuelles, la Gaule se vit enfin délivrée du joug romain par l’établissement des bandes frankes sur les rives de la Meuse et de l’Escaut. Ces bandes victorieuses et les Gaulois affranchis, formant dès-lors une seule nation, fondèrent le royaume de la Gaule-franke dont le premier roi, Hildérik, fils de

  1. Cur vel Massonus vel Matharellus Franco-Galliæ scriptori et simplici historiarum narratori ita terribiliter irascitur ?… Quomodo potest aliquis ei succensere qui est tantum relator et narrator facti ? Franco-Gallista enim tantum narrationi simplici vacat ; quod si aliena dicta delerentur, charta remaneret alba. (Réponse de l’auteur aux pamphlets de ses adversaires. Bayle, Dictionnaire historique, article Hotman.)
  2. Franco-Gallia, édit. 1574, pag. 20, 21, 31, 32.