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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

temps qui n’ont point d’histoire, l’origine et les migrations des peuples, la filiation des races et celles des langues furent pour la première fois établies sur des bases rationnelles. Que serait-il arrivé, si cette merveilleuse faculté de divination s’était appliquée tout entière au passé de la France, si Fréret eût pu suivre, en pleine sécurité d’esprit, son premier choix et les projets de sa jeunesse ? Voilà ce qu’on ne peut s’empêcher de se demander avec un sentiment de regret. L’annonce d’une révolution dans la manière de comprendre et d’écrire l’histoire semble sortir de ces lignes tracées en 1714 : « Quoique les historiens les plus estimés de l’antiquité, ceux que l’on nous propose pour modèles, aient fait leur principal objet du détail des mœurs, presque tous nos modernes ont négligé de suivre leurs traces. C’est le détail, abandonné par les autres écrivains, que je me propose pour but dans ces recherches[1]… » Les tendances de l’époque présente, les instincts de la nouvelle école historique étaient pressentis, il y a plus de cent vingt ans, par un homme de génie ; si cet homme eût rencontré dans son temps la liberté du nôtre, la science de nos origines sociales, de nos vieilles mœurs, de nos institutions, aurait avancé d’un siècle.


II.
Controverse sur le caractère et les suites politiques de l’établissement des Franks
dans la Gaule. — Système du comte de Boulainvilliers. — Réponse d’un
publiciste du tiers-état. — Système de l’abbé Dubos. — Jugement
de Montesquieu. — Son erreur sur les lois personnelles.
— Conséquences de cette erreur.

Le roman de la communauté d’origine entre les Franks et les Gaulois, et le roman de la Gaule affranchie par l’assistance des Germains, étaient définitivement balayés et rejetés hors de l’histoire de France. À leur place demeurait, comme seul constant, le fait contre lequel l’orgueil national s’était débattu en vain, la conquête de la Gaule romaine par un peuple de race étrangère. Quel était le vrai caractère de ce fait désormais incontestable ? Quelles avaient dû être ses conséquences politiques ? Jusqu’où s’étaient-elles prolongées dans la suite des siècles écoulés depuis l’établissement de la domination franke ? En subsistait-il encore quelque chose, et par quels liens de souvenirs, de mœurs, d’institutions, la monarchie française se rattachait-elle

  1. Manuscrit original de Fréret, communiqué par M. Champollion-Figeac.