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POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

attristée, résignée et finalement tombante de sa pensée. Il aimait à employer ce rhythme de cinq vers de dix syllabes, depuis si cher à Lamartine, et qui n’avait qu’à peine été traité encore, soit au XVIIe siècle[1], soit même au XVIe. Sur les rimes, il a les idées les plus justes ; il en aime la richesse, mais sans recherche opiniâtre « Une affectation continue de rimes trop fortes et trop marquées donnerait, pense-t-il[2], une pesante uniformité à la chute de tous les vers. » On dirait qu’il entend de loin venir cette strophe magnifique et formidable, trop pareille au guerrier du moyen-âge qui marche tout armé et en qui tout sonne. En garde contre le relâchement de Voltaire, il est, lui, pour l’excellent goût de Racine et de Boileau, qui font naître une harmonie variée d’un adroit mélange de rimes, tantôt riches et tantôt exactes. André Chénier sur ce point ne pratique pas mieux.

À Courbevoie, dans un petit cabinet au fond du grand, il avait le boudoir du poète, le lectulus des anciens : tout y était simple et brillant (simplex munditiis). Les murs se décoraient d’un lambris en bois des îles, espèce de luxe alors dans sa nouveauté. Une glace sans tain faisait porte au grand cabinet ; la fenêtre donnait sur les jardins, et la vue libre allait à l’horizon saisir les flèches élancées de l’abbaye de Saint-Denis. En face d’un canapé, seul meuble du gracieux réduit, se trouvait un buste de Vénus : elle était là, l’antique et jeune déesse, pour sourire au nonchalant lecteur quand il posait son Horace au Donec gratus eram, quand il reprenait son Platon entr’ouvert à quelque page du Banquet. Or, une fois par semaine, le dimanche, M. de Fontanes avait à dîner l’université, recteurs, conseillers, professeurs, et il faisait admirer sa vue, il ouvrait sans façon le pudique boudoir. Mais le buste de Vénus ! et dans le cabinet d’un grand maître ! Quelques-uns, vieux ou jeunes, encore jansénistes ou déjà doctrinaires, se scandalisèrent tout bas, et on le lui redit. De là sa petite ode enchantée :

Loin de nous, Censeur hypocrite
Qui blâmes nos ris ingénus !
En vain le scrupule s’irrite,
Dans ma retraite favorite
J’ai mis le buste de Vénus.
 

  1. Je trouve, au XVIIe siècle, une pièce de vers dans ce rhythme, par un abbé de Villiers, Stances sur la vieillesse (et tout-à-fait séniles) qu’on lit au tome II de la Continuation des Mémoires de Sallengre.
  2. Notes de l’Essai sur l’homme.