Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/801

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
797
POÈTES ET CRITIQUES LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

sassin, si l’indolent avait voulu. Mais sa poésie craignait le public, et la vitre des libraires plus encore que celle du brillant descriptif ne les cherchait.

On peut se faire aujourd’hui une autre question dont nul ne s’avisait dans le temps : quelle fut la relation de Fontanes à Millevoye ? — Fontanes est un maître, Millevoye n’est qu’un élève. Venu aux écoles centrales peu après que la proscription de fructidor en eut éloigné Fontanes, Millevoye ne put avoir avec lui que des rapports tout-à-fait rares et inégaux. Mais la considération, qui est tant pour les contemporains, compte bien peu pour la postérité ; celle-ci ne voit que les restes du talent ; en récitant la Chute des Feuilles, elle songe au Jour des Morts, et elle marie les noms.

Millevoye n’eût jamais été pour personne un héritier présomptif bien vivace et bien dangereux : mais Lamartine naissant !… qu’en pensa Fontanes ? Il eut le temps, avant de mourir, de lire les premières Méditations : je doute qu’il se soit donné celui de les apprécier. Dénué de tout sentiment jaloux, il avait ses idées très arrêtées en poésie française et très négatives sur l’avenir. Il admettait la régénération par la prose de Châteaubriand, point par les vers : « Tous les vers sont faits, répétait-il souvent avec une sorte de dépit involontaire, tous les vers sont faits ! » c’est-à-dire, il n’y a plus à en faire après Racine. Il s’était trop redit cela de bonne heure à lui-même dans sa modestie pour ne pas avoir quelque droit, en finissant, de le redire sur d’autres dans son impatience.

Mais nous avons anticipé. Les évènemens de 1813 remirent politiquement en évidence M. de Fontanes. Au sénat où il siégeait depuis sa sortie du corps législatif, il fut chargé, d’après le désir connu de l’empereur, du rapport sur l’état des négociations entamées avec les puissances coalisées, et sur la rupture de ce qu’on appelle les conférences de Châtillon. C’était la première fois que Napoléon consultait ou faisait semblant. Le rapport concluait, après examen des pièces, en invoquant la paix, en la déclarant possible et dans les intentions de l’empereur, mais à la fois en faisant appel à un dernier élan militaire pour l’accélérer. Ceux qui avaient toujours présent le discours de 1808 au corps législatif, ceux qui partageaient les sentimens de résistance exprimés concurremment par M. Lainé, purent trouver ce langage faible : Bonaparte dut le trouver un peu froid et bien mêlé d’invocations à la paix ; dans le temps en général, il parut digne[1]. 1814 arriva avec ses désastres. M. de Fontanes souffrait

  1. On a, au reste, sur les circonstances de ce rapport, plus que les conjectures. La