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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

Tant que les classes moyennes et inférieures acceptèrent la protection du patronage, et jusqu’à ce qu’elles eussent la volonté de se défendre elles-mêmes au lieu de s’abriter derrière la force d’autrui, le système qui confiait aux mains des seuls hommes vraiment indépendans la protection de la société ou le dépôt de la loi criminelle, la garantie des intérêts privés ou la justice civile, enfin la surveillance et la direction de tous les services publics, n’avait rien que de parfaitement rationnel. Tous les pouvoirs étaient concentrés là où reposaient toutes les influences. Au moyen-âge, ce système s’est trouvé établi, sans nul effort, et comme de lui-même, dans les contrées les plus étrangères les unes aux autres. C’est ainsi qu’en Portugal, dont l’administration se rapproche singulièrement des formes de l’administration anglaise, vous trouvez une organisation militaire et une magistrature hiérarchisée selon la tenure territoriale, et des agens participant d’un triple caractère administratif, judiciaire et financier. Dans les deux pays, tous les pouvoirs confondus se groupent autour d’un patronage commun. Souvent vous entrevoyez des analogies qui touchent à l’identité, si ce n’est que les fonctionnaires, qui, au bord du Duero, s’appellent capitao-mor, juizes de fora, coregedores ou desembargadores, se nomment, au bord de la Tamise, colonel, shérif, juges de paix, ou juges du banc du roi. C’est ainsi que deux nations auxquelles étaient réservées des destinées si différentes se sont organisées selon les mêmes lois, tant il est vrai que les institutions ne décident pas seules du sort des peuples, et que leur génie fait leur fortune.

L’esprit saxon, sur lequel s’est greffée la féodalité normande, introduisit, il est vrai, dans l’ensemble de cette organisation des institutions libérales en complet désaccord avec elle ; de là ces anomalies perpétuelles entre l’arbitraire du magistrat et la libre procédure par jurés, par exemple, et tant d’autres incohérences qui ont permis de voir et de présenter la Grande-Bretagne sous les aspects les plus opposés. Quoi qu’il en soit, si la forme féodale n’a point arrêté l’essor de l’Angleterre moderne, comment nier qu’elle ne s’y sente à la gêne, et qu’elle n’aspire à la briser, comme la dernière expression d’un mode de sociabilité qui n’est plus ?

Voyez combien cet ordre de choses correspond peu aux besoins si multiples et si divers d’un gouvernement, intermédiaire forcé dans la masse toujours croissante des transactions individuelles ; voyez tout ce qu’il faut d’esprit public, et en même temps d’artifice, pour