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quelquefois durant des années, l’office dont s’acquittent régulièrement en France les préfets, les ingénieurs, les directeurs des divers services financiers. De longs jours et de longues nuits s’écoulent à entendre des témoins cités de toutes les parties des trois royaumes, à réunir et à imprimer leurs interrogatoires et à tirer de ces sources nécessairement confuses des renseignemens presque toujours incomplets. Quand on songe qu’une seule des questions soulevées depuis 1832, celle des pauvres, a fourni matière à des centaines d’in-folio, et que notre Moniteur disparaîtrait inaperçu sous les monceaux des parliamentary reports, il est assurément permis de douter de l’efficacité de ce mode d’instruction préparatoire, où, sans le labeur des reviewers, voués à la pénible mission de dépouiller ces compilations colossales, le public et le parlement lui-même devraient renoncer à puiser quelque lumière.

En France, le droit d’enquête ne saurait en aucune façon être contesté aux deux chambres ; ce droit a même reçu des applications récentes et formelles. Si l’usage en est rarement réclamé, si ses résultats pratiques restent à peu près nuls, c’est que ce ressort est, pour ainsi dire, excentrique dans le gouvernement d’un pays où, chaque jour, de toutes les extrémités du royaume, les résultats aboutissent au centre pour s’y coordonner, tandis que, dans l’enfance de l’art administratif, il devient indispensable sans être pour cela plus efficace.

Si l’on répondait en nous montrant l’Angleterre sillonnée de chemins de fer et de canaux, ou couverte de monumens admirables, nous établirions fort aisément, ce semble, que cette prospérité est parfaitement indépendante d’un système qui souvent arrête, mais jamais ne seconde une tentative industrielle ou une spéculation hardie. L’administration aristocratique de la Grande-Bretagne a eu pour contrepoids le génie d’association et d’entreprise, qui a prévalu contre l’esprit de ses lois elles-mêmes. L’Angleterre est l’une des plus grandes nations du monde, d’une part, parce qu’elle est restée profondément religieuse au sein de la dissolution protestante ; de l’autre, parce qu’elle a pris l’initiative des innovations même les plus aventureuses, en dépit d’institutions dont la tendance naturelle était d’immobiliser les idées comme les intérêts. Des principes qui n’ont pas porté leurs conséquences, ou plutôt des principes opposés coexistant l’un avec l’autre, l’harmonie dans le contraste, et par le contraste même, telle est pour l’Angleterre la formule de sa vie sociale.