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qui ne va à rien moins qu’à diviser le sol du royaume selon des bases entièrement nouvelles, créant ainsi des intermédiaires tout nouveaux entre la paroisse et le comté, c’est-à-dire en dehors de l’action de l’église établie et de l’aristocratie territoriale.

Lorsque la pairie a laissé passer un tel bill, elle a sans doute ou manqué de pénétration et mal jugé l’avenir, ou cédé à l’urgence de décharger le présent d’un intolérable fardeau, même au prix de l’abandon de ses plus vieilles maximes. Des dispositions relatives au domicile et à la manière de l’acquérir, une refonte générale des anciennes lois sur la bâtardise[1], ont fait de l’acte du 14 août 1834,

  1. Dans un moment où la condition des enfans naturels préoccupe si vivement l’opinion tant sous le rapport des mœurs que sous celui de la charge toujours croissante que leur entretien impose aux départemens, il serait d’une haute importance d’appeler, par des travaux spéciaux, l’attention publique sur le système suivi par nos voisins dans cette grave matière. Là nous voyons prévaloir des principes et des usages complètement opposés à ceux qui sont consacrés chez nous ; et sans prétendre établir en rien leur supériorité, il nous semble que ce que l’une des plus riches et des plus religieuses nations de l’Europe fait et pense souvent en pareille question, a droit d’être apprécié d’une manière grave et sérieuse.

    L’Angleterre n’ouvrant aucun asile spécial aux enfans naturels, ceux-ci restent à la charge de leurs mères, et la condition de fille-mère se trouve en ce pays établie et en quelque sorte légalisée par la loi. On ne voit pas pourtant que ce système y détermine, comme il serait naturel de le craindre, un nombre d’infanticides plus grand qu’en France, et que les mœurs publiques y soient plus corrompues par cette publicité donnée aux désordres. Cette observation conduit parfois à se demander si les facilités indirectement accordées au libertinage par des institutions assurément admirables en elles-mêmes, mais dont le vice ne manque pas d’abuser, ne provoqueront pas en France une de ces réactions, rigoureuses jusqu’à la cruauté, analogue à celle dont sont sorties, pour l’Angleterre, ses nouvelles lois des pauvres.

    La loi anglaise proclame et applique chaque jour un principe que nous avons tous été enseignés à proscrire comme inique et comme inadmissible, la recherche de la paternité, avec l’obligation imposée au père déclaré tel par jugement de pourvoir aux besoins de l’être malheureux auquel il a communiqué la vie. Jusqu’à la réforme de 1834, cette maxime recevait une application abusive, et l’on peut dire absurde. D’un côté, lorsqu’une fille déclarait un père putatif, celui-ci se trouvait dans l’impossibilité de se défendre, et la déclaration de la mère valait preuve légale ; de l’autre, la pension à laquelle le père était condamné ipso facto, profitait plutôt à la fille qu’à l’enfant. De là ce résultat, que des fautes multipliées assuraient à la femme une existence d’autant plus douce, qu’elle était descendue plus bas dans le vice. Le poor-law amendement act a corrigé ces abus, tout en maintenant rigoureusement le principe de la recherche de la paternité. Aujourd’hui, celle-ci doit être prouvée devant les quarter sessions, à la diligence des gardiens ou inspecteurs, par le témoignage de la mère, aussi bien que par tout autre moyen, selon un mode de procédure spécialement déterminé (cl. 73-75). Lorsque cette preuve est faite, le père demeure, mais non plus par corps, condamné à soutenir son enfant jusqu’à l’âge de sept ans, la mère restant, dans tous les cas, chargée de lui jusqu’à l’âge de seize, et l’enfant devant suivre, dans tous les cas, la condition et le domicile de celle-ci.

    Si nous reculions pour notre propre compte devant le danger, pour la morale publique, de constituer l’état de fille-mère au sein de la société, comme il l’est en Angleterre, nous admettrions sans nulle répugnance la recherche de la paternité, dans certaines conditions