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Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/844

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élément populaire exerce déjà sur les destinées de la Grande-Bretagne une influence bien plus décisive que ses hommes politiques ne consentent habituellement à l’avouer ? L’émancipation religieuse fut arrachée par l’insurrection de l’Irlande, la réforme politique a été concédée à l’insurrection imminente de l’Angleterre, exemples récens qui ne seront perdus pour personne. Ce ressort dangereux n’est point brisé ; les évènemens peuvent assurément le retendre. N’est-il pas vingt sujets qui touchent bien plus directement que ceux-là des masses livrées aux excitations de la misère, et dont la grossièreté sauvage est à la fois une honte et une épreuve pour la civilisation britannique ?

C’est en ceci surtout que les questions irlandaises sont d’une incalculable portée, et qu’elles enchaînent l’Angleterre au sort d’une contrée qui lui rend en embarras et en périls le prix de ses longues calamités. L’Irlande, souvent comparée à la tunique fatale, enlace sa superbe dominatrice ; avec ses haillons qu’elle agite, elle ferme peut-être pour toujours l’accès du pouvoir au parti qu’une réaction parlementaire semblait convier à y entrer. Une étude spéciale des nombreuses questions qui se rapportent à ce pays pourrait seule mettre en mesure de présenter, sur les éventualités de la politique anglaise, des conjectures fondées et des résultats quelque peu concluans. Nous pourrons essayer plus tard cette étude, complément obligé de celles que nous terminons ici.

Nos lecteurs seront alors en mesure de tirer quelques conclusions précises des faits nombreux qui viennent de repasser trop rapidement sous leurs yeux ; alors il restera démontré pour eux, comme il l’est déjà pour nous-même, que des destinées analogues aux nôtres attendent aussi l’Angleterre, qu’elle connaîtra à son tour cette égalité chaque jour plus grande dans la dispensation du bien-être social ; bienfait immense sans doute, mais auquel la Providence semble imposer pour contre-poids des ambitions sans grandeur, des désirs sans frein, une mobilité sans limite et sans règle.

Cet avenir peut sortir de catastrophes inattendues, et s’acheter au prix sanglant dont nous l’avons payé ; il peut, comme un fruit mûr, tomber de l’arbre des siècles, après des luttes régulières qui resteraient, pour les générations futures, comme le plus éclatant exemple de ce que peuvent sur un grand peuple l’autorité des mœurs et le saint prestige de la loi.

Que la Grande-Bretagne répudie envers l’Irlande les restes du droit païen de la conquête, qu’elle ne conçoive plus ses lois écono-