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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

rées dont ils ont besoin. Dans le cimetière, il y avait plusieurs femmes laponnes qui portaient un berceau sur leurs bras et attendaient l’heure où le prêtre pourrait baptiser leurs enfans. Ce berceau n’est autre chose qu’une planche creusée, revêtue de cuir au dehors, remplie de mousse au dedans, serrée par une enveloppe de cuir, recouverte à l’endroit où repose la tête d’une espèce de dais en cuir et ornée d’un triple rang de grains en verre de couleur qui s’étend sur le visage de l’enfant comme pour flatter son regard au moment où il s’éveille. On dit que ces femmes n’aiment pas à découvrir la tête de leurs enfans devant des étrangers, car elles ont peur que ceux-ci ne leur jettent quelque sort ; mais cette superstition ne paraissait pas exister parmi celles que nous avons vues, ou si elles redoutent l’influence magique du regard humain pour l’être chétif qu’elles portent sur leur sein, elles ne redoutent pas au moins celle de la nature. L’hiver, quand elles se réunissent à Tromsœ, elles mettent le berceau dans la neige et s’en vont tranquillement à leurs affaires. Du reste, la plupart des Lapons que l’on rencontre ici ne sont que des Lapons fixes qui ont établi leur demeure au bord des golfes et vivent là à l’aide de leur pêche et de quelques bestiaux. Ce sont les Sœfinner, comme on les appelle dans ce pays. Les Fieldfinner, ou Lapons nomades des montagnes, apparaissent plus rarement. Ce mot de Finner, ou Finnois, celui de Quœner et celui de Finlænder, ont produit parfois une confusion qu’il importe d’éclaircir. Les Finner et les Lapons ne forment qu’un seul et même peuple ; les uns habitent dans la Laponie norvégienne ou Finmark ; les autres dans la Laponie suédoise ou Lappmark : voilà toute la différence. Les Quœner et les Finlænder forment un autre peuple dont les traditions et la langue accusent une parenté primitive avec les Lapons. Toute cette question d’origine, d’histoire et de psychologie laponne, est trop étendue pour être traitée ainsi en passant. Nous nous proposons de la discuter plus tard avec tout le soin qu’elle mérite.

Tromsœ est, comme presque toutes les villes de Norvége, complètement bâtie en bois. Auprès de l’église sont rangées les petites cabanes que les paysans du district ont eux-mêmes construites pour avoir un refuge quand ils viennent de quinze ou vingt lieues assister le dimanche à l’office. Plus loin sont les habitations des marchands ; il y a une certaine coquetterie dans leur ameublement et dans la peinture qui les décore ; le luxe de la civilisation a passé depuis long-temps le cercle polaire. Les soieries de Lyon, les étoffes de Mulhouse repoussent chaque jour plus loin le tissu de vadmel et fascinent le regard du pêcheur comme celui du riche bourgeois ; partout l’antique costume disparaît, et la rude simplicité des vieux enfans de la Norvége fait place à des besoins factices dont la fatale contagion s’étend jusqu’à la chaumière. J’ai vu souvent dans ce pays de pauvres maisons où le pied glissait sur le sol fangeux, où des chiffons cachaient la moitié des fenêtres ; mais il y avait des lithographies encadrées sur la muraille. J’ai vu des malheureux qui n’avaient pour toute nourriture qu’un peu de mauvaise bouillie, mais ils voulaient la voir servie dans une tasse de faïence et la manger avec une cuillère plaquée.