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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/11

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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

corps de l’état, des différentes classes de la nation, ne pouvait fournir à l’opinion que des forces isolées ou divergentes, et que, pour fondre ces classes si long-temps ennemies ou rivales dans une société nouvelle, il fallait un tout autre élément que la tradition domestique. Au-delà de tout ce que nous pouvions ressaisir par la tradition, au-delà du christianisme et de l’empire romain, on alla chercher dans les républiques anciennes un idéal de société, d’institutions et de vertu sociale conforme à ce que la raison et l’enthousiasme pouvaient concevoir de meilleur, de plus simple et de plus élevé. C’était la démocratie de Sparte et de Rome, abstraction faite de la noblesse et de l’esclavage qu’on laissait de côté, ne prenant du vieux monde que ce qui répondait aux passions et aux lumières du monde nouveau. En effet, l’idée du peuple, dans le sens politique de ce mot, l’idée de l’unité nationale, d’une société libre et homogène, ne pouvait être clairement conçue, frapper tous les yeux, et devenir le but de tous les efforts que par une similitude plus ou moins forcée entre les conditions de l’état social moderne et le principe des états libres de l’antiquité ; l’histoire de France ne la donnait pas. Il fallait que cette histoire fût dédaignée ou faussée, pour que l’opinion publique prît son élan vers des réformes dont le but final était marqué dans les secrets de la Providence.

Au XVIe siècle, la renaissance des études classiques avait amené, par toute l’Europe, une invasion subite, mais passagère, des idées et des maximes politiques de l’antiquité. Ce mouvement, poussé à l’extrême en France, durant les guerres civiles qu’amena la réformation, et interrompu ensuite par le repos des partis religieux et la forte administration de Richelieu et de Louis XIV, fut repris, à la fin du XVIIe siècle, sous des formes d’abord voilées par la fiction et la poésie. Fénelon, cette ame ardente pour le bien général, cet esprit qui devina tant de choses que l’avenir devait réaliser, et qui, le premier, initia la nation à ses nouvelles destinées, offrit aux imaginations rêveuses le monde antique, l’Égypte et la Grèce, comme les modèles de la perfection et des vertus sociales. Au charme de ces illusions poétiques, succéda, pour continuer, avec plus de sérieux, le même pouvoir sur les esprits, une version de l’histoire de l’antiquité sobrement embellie par la plume naïve de Rollin. Chrétien comme Fénelon, Rollin jeta sur les rudes et austères vertus des républiques païennes, un reflet de la morale de l’Évangile ; il fit aimer des caractères qui, peints avec des couleurs complètement vraies, n’eussent excité que la surprise ou une froide admiration. Le prodigieux succès