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CONCERT DE MADEMOISELLE GARCIA.

sentent de même ; chacun exprimerait donc à sa façon. Au lieu de cela, qu’arrive-t-il ? La Malibran, il faut en convenir, a contribué à amener le genre à la mode ; elle s’abandonnait à tous les mouvemens, à tous les gestes, à tous les moyens possibles de rendre sa pensée ; elle marchait brusquement, elle courait, elle riait, elle pleurait, se frappait le front, se décoiffait, tout cela sans songer au parterre ; mais du moins elle était vraie dans son désordre. Ces pleurs, ces rires, ces cheveux déroulés, étaient à elle, et ce n’était pas pour imiter telle ou telle actrice qu’elle se jetait par terre dans Othello. Quelle impression voulez-vous produire sur moi, quand vous vous arracheriez réellement les cheveux et quand vous en feriez cent fois plus que la Malibran, si je m’aperçois que vous ne sentez rien ? Quel intérêt voulez-vous que je prenne à vos cris de désespoir, à vos contorsions ? Je n’en comprends même pas le motif, je ne sais pas pourquoi vous vous démenez ainsi. Lorsque les chanteurs allemands sont venus à Paris, il y avait une certaine actrice qui s’appelait, je crois, Mme Fischer ; c’était une jolie personne, grande, blonde, avec une voix très fraîche ; elle se posait sur le bord de la rampe, près du trou du souffleur ; elle joignait les mains comme quelqu’un qui fait sa prière, et là, elle chantait de son mieux. Jamais elle ne bougeait autrement, son air durât-il une demi-heure ; si on lui criait bis, elle revenait à la même place, rapprochait ses mains et recommençait. Ce n’était certainement pas une Malibran, c’était Mme Fischer, chantant à sa manière et ne cherchant à imiter personne ; elle n’en faisait pas beaucoup, il est vrai, mais pourquoi en aurait-elle fait plus si elle n’en sentait pas davantage ? Voilà une question qu’on pourrait aujourd’hui adresser à bien des gens : pourquoi en faites-vous tant ? Vous vous croyez sublime, et vous seriez peut-être passable si vous en faisiez moitié moins.

L’exagération des acteurs vient de la manie, ou plutôt de la rage de faire de l’effet, qui semble aujourd’hui s’être emparée de tout le monde. Je veux bien supposer que cette manie a existé dans tous les temps, mais je ne puis croire qu’elle ait jamais été poussée si loin. On dirait que nous avons la simplicité en horreur. Auteurs, acteurs, musiciens, tous ont le même but, l’effet, et rien de plus ; tout est bon pour y parvenir, et dès qu’on l’atteint, tout est dit ; l’orchestre tâche de faire le plus de bruit possible pour qu’on l’entende ; le chanteur, qui veut couvrir le fracas de l’orchestre, crie à tue-tête ; le peintre et le machiniste entassent dans les décorations des charpentes énormes, afin qu’on regarde leur nom sur l’affiche ; l’auteur ajoute à l’orchestre quarante trompettes, afin que son opéra fasse plus de tapage que le précédent, et ainsi de suite, les uns renchérissant sur les autres. Le public ébahi, assourdi, ouvre les yeux et les oreilles dans une stupeur muette ; le directeur ne pense qu’à la recette et fait mousser la pièce dans les journaux ; et, au milieu de tout cela, il n’y a pas une honnête créature qui se demande si autrefois il n’existait pas quelque chose qu’on appelait la musique.

Ce qu’il y a d’inoui dans ce temps-ci, c’est qu’on nous donne Don Juan et que nous y allons. Mme Persiani nous chante : Vedrai carino, l’air le plus