tures ; et il se peut bien, après tout, que le projet d’adresse soit infiniment plus énergique que nous ne le désirons.
On parlait de deux avis qui s’étaient élevés dans la commission. Les uns disaient, nous assure-t-on : « Faisons l’adresse rude et forte. Exprimons notre pensée tout entière. Il en restera toujours assez, malgré les amendemens, pour renverser un cabinet. » Les autres, au contraire : « Faites-la modérée. N’effrayez pas la chambre. Ne dites pas dans l’adresse ce que vous avez dit dans les bureaux, ce que vous avez écrit dans le Constitutionnel ou ailleurs. La chambre s’épouvantera en voyant que vous ne voulez rien de moins que le renversement des 24 articles, que vous blâmez ce qu’on fait à Ancône et ce qu’on n’a pas fait en Espagne. Il faut d’abord gagner l’adresse à tout prix ; c’est le début de la campagne de la coalition. Elle aura tout le temps de se concerter ensuite. »
Il n’est pas besoin d’ajouter que c’est le parti doctrinaire qui parlait ainsi : d’abord parce que cette marche est la plus habile ; puis elle amènerait, en cas de réussite, à ce parti, la majorité pour former un ministère. On ne manquerait pas de dire : « Voyez comme tout le monde s’est rallié au parti des doctrinaires ! ils ont fait adopter leurs opinions au centre ministériel et à tous leurs coalisés de l’opposition. Quelle force ! quels hommes que ceux qui ont su dominer leurs alliés et leurs adversaires à ce point ! » Et le pouvoir, bien malgré eux, nous n’en doutons pas, viendrait s’offrir aux doctrinaires. Nous savons qu’on aurait beaucoup de peine à le leur faire accepter, eux qui ne demandent qu’à soutenir un ministère du centre gauche ; mais, fidèles comme ils sont aux lois du gouvernement représentatif, la majorité finirait pourtant par étouffer leurs scrupules et vaincre leur désintéressement !
Le tiers-parti a-t-il obéi à ces ingénieuses suggestions ? Le projet de l’adresse restera-t-il muet sur tout ce que réclame cette fraction de la coalition ? M. Thiers se laissera-t-il lier par le silence de l’adresse ? L’orateur brillant qui a si généreusement exposé sa pensée sur l’Espagne, au commencement de la dernière session, quand une réticence semblait devoir lui ouvrir les portes du ministère, accepterait-il cette année une chance semblable, à la condition de taire à la tribune la pensée qu’il a déjà exprimée ailleurs sur la Belgique. De deux choses l’une. Nous avons le gouvernement représentatif dans sa réalité, et tel que le demande la coalition, ou nous ne l’avons pas. S’il existe, M. Thiers et ses amis de la gauche ne peuvent vouloir entrer aux affaires en dissimulant à la chambre leur opinion sur une question aussi importante que celle de la Belgique, et en fuyant, en quelque sorte, le vœu de la majorité. Si, au contraire, le gouvernement représentatif est faussé, comme ils le prétendent, si le roi règne et gouverne, ce que nous nions, M. Thiers sera-t-il plus heureux à l’égard de la Belgique qu’il ne l’a été à l’égard de l’Espagne ? Sera-t-il assez puissant, une fois ministre, pour faire prévaloir et mettre en pratique ses opinions ? Pourra-t-il anéantir, de sa volonté de ministre, les 24 articles, surtout s’il n’a pas à opposer le vote d’une majorité