Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

de l’histoire de France ; mais il n’en est pas de même pour celui de Mably, fruit d’une inspiration étrangère à notre histoire, composé d’emprunts disparates faits aux théories précédentes, et de capitulations peu franches et rarement habiles avec la science contemporaine.

Le propre de ce système, son caractère essentiel est, je le répète, de mêler et de confondre des traditions jusque là distinctes, de rendre commune au tiers-état la démocratie des anciens Franks, et d’abandonner, pour ce même tiers-état, son vieil héritage de liberté, le régime municipal romain. L’abbé de Mably admet, avec Boulainvilliers, une république germaine transplantée en Gaule pour y devenir le type idéal et primitif de la constitution française, et, avec Dubos, la ruine de toute institution civile par l’envahissement de la noblesse. Il part du même point que François Hotman, d’une nationalité gallo-franke, pour arriver à sa conclusion politique, le rétablissement des états-généraux. S’il n’érige pas, comme le publiciste du XVIe siècle, les Franks en libérateurs de la Gaule, le choix libre des lois personnelles a pour lui la même vertu que cette délivrance, celle de faire un seul et même peuple des conquérans et des vaincus. La tradition romaine se trouve ainsi éliminée sans aucun détriment, et même avec une apparence de profit pour les classes qui l’avaient conservée durant des siècles avec tant de fidélité, et maintenue si énergiquement par l’organe de leurs avocats et de leurs publicistes. Ce qui ressort de plus clair au milieu de cette confusion historique, c’est la prédilection de l’auteur pour la forme démocratique du gouvernement des Franks au-delà du Rhin, telle qu’on peut l’induire du livre de Tacite, et la découverte, sous Charlemagne, d’un gouvernement mixte de monarchie, d’aristocratie et de démocratie avec trois états, clergé, noblesse et peuple, prenant part à la formation des lois dans des assemblées constitutionnellement périodiques. Après avoir bâti cet idéal de gouvernement monarchique, Mably le montre avec regret incapable de durer, comme il avait montré, avec des regrets semblables, la république des Franks incapable de se soutenir après la conquête de la Gaule. Tous ses raisonnemens là-dessus, fondés sur des considérations puisées dans la lecture des politiques de l’antiquité, sur les vices et les vertus des peuples, sur la passion de la gloire et celle des richesses, sur l’imprévoyance et la prévoyance de l’avenir, sont vides, creusement sonores, et parfaitement inapplicables aux temps et aux hommes[1].

  1. Observations sur l’histoire de France, liv. I et II.