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nœs[1], langue étroite de terre où s’élèvent aussi quelques habitations, on découvre la mer où flotte la grande voile carrée du bateau norvégien, et, dans le lointain, les montagnes de Sorœ aux cimes échancrées et couvertes de glaces éternelles.

Dès le milieu du moyen-âge, le nom de Hammerfest apparaît dans les annales du commerce de Finmark. Ce n’était alors qu’un groupe de cabanes ; mais le port sûr et commode était déjà connu des marchands de Bergen, et des pêcheurs russes qui tantôt se contentaient de jeter leurs filets à la mer, et tantôt exerçaient sur les côtes le métier de pirates. Le commerce de Finmark, monopolisé pendant un siècle, réduisit la population de cette contrée à une espèce de servage et la plongea dans une profonde misère. En 1789, le gouvernement danois comprit enfin les funestes résultats du pacte qu’il avait conclu avec une société avide et cruelle. Le commerce redevint libre, et Hammerfest reçut en même temps ses priviléges de ville marchande. Dans la pensée des rédacteurs de l’ordonnance de 1789, cette ville devait prendre un rapide accroissement. On la croyait destinée à devenir le point central du commerce dans le nord, l’entrepôt du Finmark et d’Archangel ; mais ces espérances ne se réalisèrent pas ; Hammerfest resta long-temps un lieu de passage et rien de plus. M. Léopold de Buch qui la vit, en 1801, en fait un tableau fort triste : « Toute la ville, dit-il, y compris la demeure du prêtre, se compose de neuf habitations, quatre marchands, une maison de douane, une école et un cordonnier. Sa population ne s’élève pas à plus de quarante-quatre personnes. On n’y trouve aucune subsistance, pas même du bois pour se chauffer[2]. »

Dans l’espace de trente ans, cette humble cité est sortie de l’état d’anéantissement auquel M. de Buch semblait la condamner. Si le savant voyageur y revenait aujourd’hui, il y trouverait environ quatre-vingts maisons et quatre cents habitans, plusieurs larges magasins, deux auberges portant le titre d’hôtel, des ouvriers, des fabriques, voire même un jeu de billard.

C’est par l’industrie des marchands que ce progrès s’est opéré, et les marchands composent toute l’aristocratie de la contrée. Ceux qui ont le bonheur d’être nommés agens consulaires de quelque pays étranger, jouissent d’un immense privilége. On leur donne le titre de consul, et leur femme, au lieu de s’appeler tout simplement madame, s’appelle frue. Dans les circonstances habituelles de la vie, la décoration du consul est une broderie. Dans les graves occasions il passe avant tous les autres marchands. Le prêtre est trop modeste pour ne pas laisser la place libre à ces sommités nobiliaires. Le chef de la douane pourrait seul leur disputer la prééminence avec son pantalon à bandes d’or et sa casquette constamment ornée d’un ambitieux galon.

L’été, cette petite ville de Hammerfest offre un tableau riant et animé :

  1. Promontoire des oiseaux.
  2. Reise nach Norwegen, von Leopold von Buch, IIe th.