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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/140

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REVUE DES DEUX MONDES.

binaisons et d’écritures que dépendent ses succès de toute une année. Alors il expédie des bâtimens de pêche au Spitzberg et des charges de poisson en Espagne et en Portugal. Toute la journée s’écoule ainsi dans un perpétuel enchaînement d’affaires, et, le soir, viennent les causeries autour du bol de punch. Alors tous ces honnêtes marchands s’abandonnent avec joie à leur franchise de cœur, à leurs habitudes hospitalières, et, s’il y a un étranger parmi eux, ils sont pour lui d’une bonté et d’une prévenance sans égales. À défaut des grandes questions politiques et des nouvelles de bourse, qui n’ont ici qu’un lointain et faible retentissement, on s’occupe beaucoup des nouvelles du district, et chaque anecdote, tombant au milieu de cette société paisible, produit une commotion qui passe en quelques heures du salon du consul à la cabane du pêcheur. L’état de la température joue surtout un grand rôle dans les conversations, et le baromètre est l’oracle de toute la maison. Les dames, qui en sont encore à l’enfance de l’art, s’abordent en se disant : Nous avons aujourd’hui vent d’est ; — et les hommes, qui sont beaucoup plus avancés, disent : Nous aurons demain vent du nord. — Puis l’été est une merveilleuse époque qui apporte chaque jour quelque événement inattendu. C’est un navire étranger qu’on n’avait pas vu depuis deux années et qui tout à coup reparaît dans le port ; c’est un pêcheur qui a pris, au bout de sa ligne, un poisson d’une forme singulière ; c’est un voyageur qui entre avec armes et bagage dans l’hôtel de M. Bangh ; et jusqu’à ce qu’on sache au juste qui il est, à quels heureux commentaires ne sera-t-il pas livré ?

Que si, à travers les brouillards flottans et les nuages épais qui voilent ordinairement le ciel de Hammerfest, on voit tout à coup surgir un beau soleil, si les montagnes des îles apparaissent au loin avec leurs flancs bleuâtres et leur cime étincelante, si la mer que nul vent n’agite se déroule comme un lac d’argent entre la ville et les rochers, oh ! c’est un beau et poétique spectacle ; et l’étranger qui, pour le voir, est monté au sommet du Tyvefield, n’oubliera pas l’aspect grandiose de cet horizon où la terre et les eaux semblent se disputer l’espace, et cette mer orageuse qu’une heure de calme aplanit, qu’une clarté vermeille colore, et cette nature sévère qui soudain se déride et sourit à ceux qui la contemplent. Un soir, au mois d’août, j’ai vu, du haut de ces pics élancés comme une flèche de cathédrale, le soleil, un instant voilé par un léger nuage, se lever à minuit dans tout son éclat. Alors la mer était éblouissante de lumière ; les montagnes avaient une teinte d’azur comme les horizons lointains des contrées méridionales, et les lacs posés aux flancs des collines, endormis dans leur bassin de granit, ressemblaient à des coupes de cristal. Lorsque ces beaux jours apparaissent, il se fait dans toute la ville un grand mouvement. Chacun veut jouir de ce tableau si rare, hélas ! et si rapide. Les affaires sont suspendues ; les femmes sortent pour voir si les plantes qu’elles cultivent avec tant de soin n’ont pas poussé quelques fleurs, et les hommes, assis sur un banc, se dilatent au soleil. Mais ces jours d’épanouissement n’apparaissent que de loin en loin ; un brouillard épais voile