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gienne : « Tu es un bon étranger, toi, tu ne méprises pas le pauvre Lapon. Garde cela pour souvenir de moi et viens me voir à Kitell. Je te dirai comment nous vivons. » Puis il me tendit la main et s’éloigna.

Le prêtre exerce sur toute cette communauté une sorte de juridiction paternelle. C’est lui qui règle les mariages, qui apaise les querelles, qui donne des conseils au père de famille et des encouragemens à l’enfant. Si deux époux ne peuvent s’accorder, ils s’adressent au prêtre. Si deux voisins ont à traiter quelque épineuse question d’intérêt, ils prennent pour arbitre le prêtre ; et si le Lapon et le marchand sont mécontens l’un de l’autre, c’est encore le prêtre qui s’interpose entre eux. Le soir, il y avait un procès à juger. Il s’agissait de deux jeunes fiancés qui demandaient à rompre leur contrat. Le jeune homme, séduit par les sept cents rennes de sa future, aurait encore volontiers consenti à ensevelir dans le silence ses griefs ; mais la jeune fille avait invariablement pris sa résolution. Les deux partis, accompagnés de leurs témoins, comparurent devant le prêtre, et, quand la fiancée eut déclaré qu’elle voulait redevenir libre, le jeune homme redemanda les présens qu’il lui avait faits. Elle prit une clé cachée sous sa robe, ouvrit une vieille caisse en bois, et en tira une bague d’argent, une ceinture de cuir, ornée de quelques plaques d’argent, et trois mouchoirs d’indienne. Le jeune homme rassembla ces objets, les retourna de tout côté pour voir s’ils étaient en bon état ; puis, quand cet examen fût fini, il raconta au prêtre que ses fiançailles lui avaient coûté beaucoup d’argent, que sa fiancée avait bu dix-huit pots d’eau-de-vie, et il demandait 10 dalers (50 fr.) pour s’indemniser de ses dépenses, de ses voyages et de ses chagrins. À cette déclaration inattendue, la jeune Laponne jeta sur lui un regard d’une magnifique fierté, puis elle en appela aux témoins, et il se trouva qu’au lieu de dix-huit pots d’eau-de-vie, l’innocente fille n’en avait bu que trois. Le prêtre lui dit de donner 5 francs à son rigoureux fiancé. Il les reçut avec autant de joie que s’il n’avait pas osé les espérer. Puis, tous deux, à la demande de leur juge, se tendirent la main en signe d’oubli du passé et se séparèrent.

Le lendemain, tous les Lapons étaient retournés dans leurs demeures. Pour nous, nous avions un nouveau voyage à faire. Le pêcheur finnois qui, pendant sept mois de l’année, sert de maître d’école à la communauté, était venu de Rœvsboten, situé à douze lieues de Hvalsund, chercher le prêtre pour administrer les sacremens à sa vieille mère malade. Nous partîmes à midi dans une petite barque montée par trois hommes ; le maître d’école nous servait lui même de pilote. Nous longeâmes la côte occidentale de Hvalœ, et je vis reparaître autour de moi les sites sombres de ces mers du nord, les grands rocs aigus, isolés et debout au milieu des vagues comme des pyramides au milieu du désert, les montagnes de neige ceignant l’horizon, de temps à autre un coin de terre aride où le pétrel s’arrête dans son vol, comme pour voir de quel côté soufflera la tempête, et de toutes parts une solitude profonde, un silence de mort.

Le soir, des nuages épais s’amoncelèrent autour de nous, l’azur du ciel