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VOYAGEURS ET GÉOGRAPHES MODERNES.

contenter d’une expression claire et précise, il vise aux grands effets de style, on est fondé à se demander jusqu’à quel point cette rhétorique d’emprunt s’accorde avec les lois de la grammaire. M. Balbi se trouve dans ces conditions et sa cuirasse a plus d’un défaut. Personne n’est plus vulnérable : son livre est un pêle-mêle d’outrages à la langue et de tournures ambitieuses, de mots vides et de grands airs, de morgue tranchante et de flagrantes incorrections. Il est surtout inappréciable quand il fait de la couleur. Veut-il qualifier la reine malgache, Ranavala-Manjoka, complice de l’assassinat de son époux Radama ? Il ne se fait pas faute de l’appeler Clytemnestre ; il est vrai qu’il n’ose pas compléter la comparaison en faisant un Égisthe du nègre Andymiase, et des Atrides des deux petits princes Micolo-Sala et Tai-Toutou. Parle-t-il des civilisateurs de l’Océanie, Tameamea et Finau ? il les donne comme la monnaie de Napoléon ; il appelle Culhacan une Thèbes américaine, et quelques méchants fortins sur la côte des Esclaves, les villes anséatiques de la Nigritie. Dans l’Inde, s’il s’agit des sangsues du Dekkan, il écrit : « Dans les campemens des armées, elles peuvent verser plus de sang que les faibles troupes des Hindous. » Du reste, toute son histoire naturelle est écrite d’un style inimaginable. On y voit une guenon habillée de toutes couleurs comme les suisses de nos cathédrales ; on y admire un animal avec une peau hérissée de poils courts et raides comme les soies d’une brosse usée, toute pavée d’écussons, et de laquelle a disparu le large plissement monacal qui habille le rhinocéros. Ici un cocotier est un végétal colonnaire ; plus loin, un faisceau de palmes en parasol. Mais, entre mille passages de ce goût et de ce ton, en voici deux qu’il serait vraiment fâcheux de ne pas mettre en lumière. Le premier dit : « En Océanie, les mammifères ont quelques représentans : le chien, ce compagnon docile de l’homme, qui s’attache à ses pas comme l’ombre le fait au corps dont il est l’image, existe comme commensal des deux races jaunes qui se sont partagé ce système d’îles ; mais le cochon n’existe que sur les îles où vit la race océanienne pure… etc. » Quelles perles de style sont jetées là, devant les deux animaux qui font l’ornement de cette période ! Le second passage est d’un autre genre : « L’Asie nourrit les plus grands reptiles du monde. C’est sur ces côtes que pullulent les tortues franches et les carets. » Des carets et des tortues en fait de grands reptiles !

Arrêtons-nous. Aussi bien la force nous manque pour épuiser cette guerre de détails, qui prend toujours des formes âpres et procédurières. Vis-à-vis d’une présomption moins absolue et d’une suffi-