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SPIRIDION.

— Il n’y a pas d’athées, reprit le père Alexis avec chaleur ; non, il n’y en a pas ! Il est des temps de recherche et de travail philosophique, où les hommes, dégoûtés des erreurs du passé, cherchent une nouvelle route vers la vérité. Alors ils errent sur des sentiers inconnus. Les uns, dans leur lassitude, s’asseient et se livrent au désespoir. Qu’est-ce que ce désespoir, sinon un cri d’amour vers cette Divinité qui se voile à leurs yeux fatigués ? D’autres s’avancent sur toutes les cimes avec une précipitation ardente, et, dans leur présomption naïve, s’écrient qu’ils ont atteint le but et qu’on ne peut aller plus loin. Qu’est-ce que cette présomption, qu’est-ce que cet aveuglement, sinon un désir inquiet et une impatience immodérée d’embrasser la Divinité ? Non, ces athées, dont on vante avec raison la grandeur intellectuelle, sont des ames profondément religieuses, qui se fatiguent ou qui se trompent dans leur essor vers le ciel. Si, à leur suite, on voit se traîner des ames basses et perverses, qui invoquent le néant, le hasard, la nature brutale, pour justifier leurs vices honteux et leurs grossiers penchans, c’est encore là un hommage rendu à la majesté de Dieu. Pour se dispenser de tendre vers l’idéal, et de soutenir par le travail et la vertu la dignité humaine, la créature est forcée de nier l’idéal. Mais, si une voix intérieure ne troublait pas l’ignoble repos de sa dégradation, elle ne se donnerait pas tant de peine pour rejeter l’existence d’un juge suprême. Quand les philosophes de ce siècle ont invoqué la Providence, la nature, les lois de la création, ils n’ont pas cessé d’invoquer le vrai Dieu sous ces noms nouveaux. En se réfugiant dans le sein d’une Providence universelle et d’une nature inépuisablement généreuse, ils ont protesté contre les anathèmes que les sectes farouches se lançaient l’une à l’autre, contre les monstruosités de l’inquisition, contre l’intolérance et le despotisme. Lorsque Voltaire, à la vue d’une nuit étoilée, proclamait le grand horloger céleste ; lorsque Rousseau conduisait son élève au sommet d’une montagne pour lui révéler la première notion du Créateur au lever du soleil, quoique ce fussent là des preuves incomplètes et des vues étroites, en comparaison de ce que l’avenir réserve aux hommes de preuves éclatantes et d’infaillibles certitudes, c’étaient du moins des cris de l’ame élevés vers ce Dieu que toutes les générations humaines ont proclamé sous des noms divers et adoré sous différens symboles.

— Mais ces preuves éclatantes, mais cette certitude, lui dis-je, où les puiserons-nous, si nous rejetons la révélation, et si le sens intérieur ne nous suffit pas ?