Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
SPIRIDION.

l’endroit de la poitrine où j’avais dirigé mes recherches, des lambeaux de vêtement que je soulevai et qui se roulèrent autour de mes doigts comme des toiles d’araignée. Puis, glissant ma main jusqu’à la place où ce noble cœur avait battu, je sentis sans horreur le froid de ses ossemens. Le paquet de parchemin, n’étant plus retenu par les plis du vêtement, roula dans le fond du cercueil ; je l’en retirai, et, refermant le sépulcre à la hâte, je retournai auprès d’Alexis et déposai le manuscrit sur ses genoux. Alors, un vertige me saisit, et je faillis perdre connaissance ; mais ma volonté l’emporta encore, car Alexis dépliait le manuscrit d’une main ferme et empressée, et il lut ce peu de pages.

LE MANUSCRIT DE SPIRIDION.

« Combien j’ai pleuré, combien j’ai prié, combien j’ai travaillé, combien j’ai souffert, avant de comprendre la cause et le but de mon passage sur cette terre ! Après bien des incertitudes, après bien des remords, après bien des scrupules, j’ai compris que j’étais un martyr. Mais pourquoi mon martyre, disais-je, et quel crime ai-je commis avant de naître, pour être ainsi condamné au labeur et aux gémissemens depuis l’heure où j’ai vu le jour jusqu’à celle où je vais rentrer dans la nuit du tombeau ?

« Enfin, à force d’implorer Dieu, à force d’interroger l’histoire des hommes, un rayon de la vérité est descendu sur mon front, et les ombres du passé se sont dissipées devant mes yeux. J’ai levé un coin du rideau, et j’ai assez vu pour comprendre que ma vie, comme celle du genre humain, était une suite d’erreurs nécessaires, ou, pour mieux dire, de vérités incomplètes, conduisant toutes, plus ou moins lentement, plus ou moins directement, vers une vérité éclatante, vers une perfection idéale. Mais quand se lèveront-elles sur la face de la terre, quand sortiront-elles du sein de la Divinité, les générations qui salueront la face auguste de la vérité et qui proclameront le règne de l’idéal sur la terre ? Je vois bien comment marche l’humanité, mais je ne vois ni son berceau, ni son apothéose. Il me semble que l’homme est une race transitoire entre la bête et l’ange ; mais j’ignore combien de siècles il a fallu pour qu’il passât de l’état de brute à l’état d’homme, et je ne puis savoir combien de siècles il lui faudra pour passer de l’état d’homme à l’état d’ange.

« Pourtant j’espère, et ce que je sens en moi de force et de calme aux approches de la mort me prouve que de grandes destinées attendent l’humanité. Tout est fini pour moi en cette vie ; je me suis