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L’ABBESSE DE CASTRO.

cet illustre brigand serait incroyable aux yeux de la génération présente, en ce sens que jamais on ne voudrait comprendre les motifs de ses actes. Il ne fut vaincu qu’en 1592. Lorsqu’il vit ses affaires dans un état désespéré, il traita avec la république de Venise et passa à son service avec ses soldats les plus dévoués ou les plus coupables, comme on voudra. Sur les réclamations du gouvernement romain, Venise, qui avait signé un traité avec Sciarra, le fit assassiner, et envoya ses braves soldats défendre l’île de Candie contre les Turcs. Mais la sagesse vénitienne savait bien qu’une peste meurtrière régnait à Candie, et en-quelques jours les cinq cents soldats que Sciarra avait amenés au service de la république furent réduits à soixante-sept.

Cette forêt de la Faggiola, dont les arbres gigantesques couvrent un ancien volcan, fut le dernier théâtre des exploits de Marco Sciarra. Tous les voyageurs vous diront que c’est le site le plus magnifique de cette admirable campagne de Rome, dont l’aspect sombre semble fait pour la tragédie. Elle couronne de sa noire verdure les sommets du mont Albano.

C’est à une ancienne éruption volcanique antérieure de bien des siècles à la fondation de Rome que nous devons cette magnifique montagne. À une époque qui a précédé toutes les histoires, elle surgit au milieu de la vaste plaine qui s’étendait jadis entre les Apennins et la mer. Le Monte-Cavi, qui s’élève entouré par les sombres ombrages de la Faggiola, en est le point culminant ; on l’aperçoit de partout, de Terracine et d’Ostie comme de Rome et de Tivoli, et c’est la montagne d’Albano, maintenant couverte de palais, qui, vers midi, termine cet horizon de Rome si célèbre parmi les voyageurs. Un couvent de moines noirs a remplacé, au sommet du Monte-Cavi, le temple de Jupiter Férétrien, où les peuples latins venaient sacrifier en commun et resserrer les liens d’une sorte de fédération religieuse. Protégé par l’ombrage de châtaigniers magnifiques, le voyageur parvient, en quelques heures, aux blocs énormes que présentent les ruines du temple de Jupiter ; mais sous ces ombrages sombres, si délicieux dans ce climat, même aujourd’hui, le voyageur regarde avec inquiétude au fond de la forêt ; il a peur des brigands. Arrivé au sommet du Monte-Cavi, on allume du feu dans les ruines du temple pour préparer les alimens. De ce point qui domine toute la campagne de Rome, on aperçoit, au couchant, la mer qui semble à deux pas, quoique à trois ou quatre lieues ; on distingue les moindres bateaux ; avec la plus faible lunette, on compte les hommes qui pas-